Différence entre technique et méthode
Fernando de Amorim
Paris, 10 janvier 2020
La règle de l’association libre est une technique qui exige que l’être dans la position de malade, patient ou psychanalysant parle librement ses pensées. Messieurs Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis écrivent que : « Leprocédé de libre association est constitutif de la technique psychanalytique. On ne peut assigner de date précise à sa découverte ; elle s’est faite progressivement entre 1892 et 1898 et par diverses voies. » (Laplanche, J., & Pontalis, J.-B. Vocabulaire de psychanalyse, PUF, Paris, 1967, p. 228). L’auteur de ces lignes, au contraire de ces Messieurs cités ci-dessus, pense que c’est la technique de libre association qui est constitutive de la méthode psychanalytique.
Pour Alain de Mijolla, « La méthode de libre association est la méthode à l’origine de la « règle fondamentale » de toute cure psychanalytique et selon laquelle le patient doit exprimer ce qui lui vient à l’esprit sans y exercer, ni choix, ni censure. » (Mijolla (de), A. Dictionnaire international de la psychanalyse, Calmann-Lévy, Paris, 2002, pp 135-36). Le mot « procédé » de Messieurs Laplanche et Pontalis est synonyme du mot « méthode », utilisé aussi par Monsieur de Mijolla.
L’auteur de ces lignes a proposé une petite modification à la technique en demandant à l’être, dans la position de malade, patient et psychanalysant, de parler ses pensées, son corps, ses rêves. Je pense que cette règle est une technique – puisqu’elle concerne les applications, par association libre, de la transmission du savoir de l’Autre barré (Ⱥ) – le locus du signifiant mis en évidence par Jacques Lacan – au moi, dans le cadre de la séance –, et non une méthode – qui indique davantage une manière de conduire sa pensée conformément aux principes du savoir moïque (Amorim (de), F. De la clinique, RPH, Paris, 2012, pp. 45-46).
Je situe la naissance de cette technique, au moment où Freud accepte de se taire, à la demande de Madame Emmy von N. quand elle dit « Ne dites rien ! », et qu’il obéit (Freud, S., & Breuer, J. (1895). Études sur l’hystérie, PUF, Paris, 1956, pp. 36 et 38). C’est le silence du psychanalyste qui déclenche le désir de l’être pris par le transfert, de dire librement ses pensées.
En 1904, Freud fait référence à la « méthode cathartique de Breuer ». Dans le même texte, il évoque « la technique de la méthode psychanalytique. » Donc ici, il semble qu’il fasse une distinction entre technique et méthode.
Madame Elisabeth Roudinesco et Monsieur Michel Plon ne feront pas de distinction entre technique et méthode (Roudinesco, E., & Plon, M. Dictionnaire de la psychanalyse, Fayard, Paris, 1997, pp. 886 et 628), et Messieurs Roland Chemama et Bernard Vandermersch de même (Chemama, R., & Vandermersch, B. Dictionnaire de la psychanalyse, Larousse, Paris, 2007, p. 32).
En 1925, Freud utilise indistinctement technique et méthode (OC XVII, p. 87 ; GW XIV, pp. 65-66) ; (OC XVII, p. 88 ; GW XIV, p. 67) ; (OC XVII, p. 89 ; GW XIV, p. 68) ; (OC XVII, p. 90 ; GW XIV, p. 69) ; (OC XVII, p. 99 ; GW XIV, p. 79).
En 2012 et en 2020, j’ai mis en évidence la distinction entre technique – ce qui suppose implication impersonnelle par le clinicien comme font les chirurgiens –, et méthode – qui autorise l’usage du style du clinicien – avec l’intention, en associant théorie et clinique, de faire science.
La technique est l’application d’un instrument, οργανον, ici la règle d’association libre. L’utilisation de la règle exige rigueur et obéissance aveugle du psychanalyste et du psychanalysant à la technique. Ce dernier ne sera ni rigoureux ni obéissant à la règle, mais pour que le traitement puisse produire un résultat, il doit respecter la technique (parler ses pensées, son corps, ses rêves). Le psychanalyste descend dans l’arène clinique, où se trouvent les organisations intramoïques, pour dégager les résistances qui empêchent le respect de la règle. Le respect de la technique est de l’entière responsabilité du psychanalysant. La méthode est la manière – de l’être dans la position de malade, patient, psychanalysant et supposé-psychanalyste – de conduire et d’exprimer sa pensée conformément aux principes du savoir inconscient. Comme je l’ai dit plus haut, tout normalement le moi du psychanalysant freinera l’avancée de la cure, le moi du patient la déviera et le moi du malade la sabotera. La technique sera tronquée par l’être jusqu’à la sortie de la psychanalyse, c’est au psychanalyste de faire en sorte que la méthode, c’est-à-dire, le lit de la navigation psychanalytique, ne soit pas débordé. S’il y a débordement, il n’aura pas de navigation.
Le lecteur doit avoir en tête la crue de 1910 où les eaux de la Seine avaient envahi la rue de Rivoli et la place de la Concorde, à Paris. La méthode exige rigueur et subjectivité avec style, style construit par le clinicien pendant sa psychanalyse personnelle. La clinique est la déclinaison en action de la théorie, la carte maritime. La rigueur du clinicien est le fruit de sa formation théorique à l’université et dans les écoles psychanalytiques. C’est sa rigueur – à lire la carte dessinée par ses prédécesseurs et son éthique à la respecter – qui construit son statut de clinicien. La science est la somme du savoir construit par le malade devenu patient, du patient devenu psychanalysant, du psychanalysant devenu sujet.
C’est dans la position de sujet que l’être pourra confirmer ou infirmer que la théorie, c’est-à-dire la carte freudo-lacanienne, est fausse, incomplète ou vraie.