Les faux adultes et les adultes vrais
Fernando de Amorim
Paris, le 6 janvier 2020
Quand « Le Journal du Dimanche » publie dans la couverture de son édition du 5 janvier 2020 « Matzneff, ce qu’il a voulu cacher », et en page 2 « « Vices cachés », je pense que le quotidien se trompe. Rien n’était caché par Gabriel Matzneff. Ses écrits en sont la preuve. Les fantasmes et les actes pédophiles existent depuis la nuit des temps. Mon intention est de mettre en évidence la lâcheté des supposés adultes face à la violence faite aux enfants.
Si la psychanalyse peut aider la victime du pédophile à construire sa vie à partir de sa mauvaise rencontre avec l’Autre (A) – ici en majuscule et sans la barre – jouisseur, elle peut être utile aussi au pédophile.
Il y a quelques années, un haut fonctionnaire était attrapé par la police avec des photos pédopornographiques. La juge lui avait proposé deux choix : aller en prison ou commencer une psychothérapie. Bien évidemment il a choisi la deuxième voie, avec l’intention de me tromper, tromper la juge et la Loi. Il veut des justificatifs de présence, comme font les prisonniers quand ils veulent des permissions pour sortir plus rapidement de prison.
Face à mon refus de jouer son jeu de dupe, il a senti qu’il lui fallait décider de se mettre au travail psychanalytique ou aller en prison, ce qui signifiait honte sociale, démission de son travail et perte de respect des autres humains.
Il a commencé sa psychanalyse et ce qu’il a découvert de son histoire lui a été terrible. Ce Monsieur est sorti de psychanalyse, s’est marié avec un Monsieur plus jeune, contaminé par le VIH et majeur.
Un psychanalyste n’est ni un juge, ni un policier. Il règle les incartades ou le rejet des règles de la vie civilisée – le respect de son semblable – de manière psychanalytique. Le psychanalyste a les instruments et il en fait usage. Une chose est de parler de son fantasme pédophile, l’autre est de l’acter. Si Matzneff avait su faire cette distinction, il n’aurait pas publié ce qui est du champ du fantasme. S’il passe à l’acte, le psychanalyste se doit de suspendre la cure, lui dire de se présenter aux autorités compétentes. À partir de cela, il sera possible de continuer la cure. Des névrosés, comme des pervers, acceptent d’aller se dénoncer. Pas tous, bien évidemment, mais ceux qui acceptent, s’inscrivent dans un registre possible de vie qui n’était pas envisageable auparavant. Ceux qui n’acceptent pas, surtout les pédophiles qui ne veulent rien savoir, et rien avoir à faire avec la castration, restent dans une position où le moi est la proie des organisations intramoïques, ces figures féroces et obscènes qui lui imposent : « Jouis ! ».
Rien n’était caché dans cette affaire. Avec ses livres, ses interviews, il avait tâté le terrain. Dans cette affaire, c’est la lâcheté des supposés adultes qui est mise en évidence. Qu’ils soient politiciens, enseignants, cliniciens, tous savent où se trouve la limite, même le Monsieur en question. Quand il publie ses textes, il ne vise pas une autre chose que quelqu’un, d’une seule voix, au nom de toute la société, viennent dire que cela ne se fait pas, qu’il ne va pas bien, qu’il se rende sans tarder aux autorités compétentes pour recevoir la sanction exigée par l’Autre, ici avec une barre (Ⱥ).
L’instant mérite une petite explication : Le grand Autre non barré cité ci-dessus est ce que j’appelle le bras verbal de la résistance du surmoi. Il écrit et parle de grossièretés. La résistance du surmoi agit contre le moi, et ce dernier contre son semblable. La vengeance, la haine sont au cœur de la résistance du surmoi et de l’Autre non barré. Ensemble, ils constituent ce que j’avais nommé les organisations intramoïques.
Ce qui est fait aux enfants au moment même de ses écrits, mérite que la société tout entière sorte de sa mollesse. Nous vivons dans une société de faux adultes : « Si vous ne me donnez pas ce que je veux, je fais grève, je brûle des voitures, j’agresse des femmes, je tue des gens parce que d’une religion ou d’une couleur de peau différente de la mienne. ». L’idéologie du jouir sans retenue est un fantasme de névrosé ou un rejet de la loi symbolique de pervers.
Le changement de notre société est en marche et je pense qu’il ne s’arrêtera pas là.
Perdus dans une idéologie du moindre effort, les faux adultes féminins ferment les yeux sur les agissements des mâles avec qui elles se sont mariées ou qu’elles ont trouvés pour éviter la pénétration génitale, laissant leurs filles ou fils à la merci des manipulateurs.
Ces faux adultes masculins qui se gargarisent de chasser des proies sans défense – pas innocentes, sans défense – s’incrustent dans les moindres recoins du gruyère social qu’est notre société, sans repère, sans limite, donc folle.
La psychanalyse étudie et opère cliniquement avec le désir sans bornes, sans castration. Elle ne le cautionne pas, elle ne l’a jamais cautionné. La réaction de Vanessa Springora et de Christine Angot, sont les fruits d’une maturation subjective construite sur le divan. Ce temps de maturation n’obéit pas au temps de la justice, mais à celui des moyens de navigation de chacun dans les eaux de l’inconscient.
Personne n’est innocent dans cette affaire. Ecris-je. Et les mineurs ? Ils sont aux prises avec ce qui les anime dès leur naissance, à savoir, leurs pulsions et le désir de l’Autre non barré.
La responsabilité d’un adulte vrai est, face aux assauts pulsionnels des enfants, des jeunes filles et des jeunes garçons, de leur signaler respectueusement que lui, l’adulte vrai, n’est pas ce qu’il leur faut pour l’initiation à l’amour, à la sexualité, à la génitalité.
La psychanalyse, celle que plus d’un dénigrent, malmènent, maltraitent, doit être appelée au débat. Pas un débat public, mais un débat clinique avec victimes et bourreaux, dans la discrétion de la consultation.
Invité par un psychiatre dans un pays étranger, chef du service de psychiatrie et intéressé à installer un service de consultation publique de psychanalyse comme celle que je dirige à Paris, il m’a proposé de m’envoyer dans ma chambre d’hôtel, une fille de quinze ans pour me tenir compagnie. Ces yeux pétillaient.
Je lui avais dit :
– « Monsieur le professeur, je ne suis pas pédophile. ».
Lui, sans hésiter un seul instant, réplique :
– « Docteur, c’était pour rire. ».
Moi :
– « Je ne pense pas Monsieur. Venez me rendre visite pour que nous puissions parler de ça ! ».
Il n’a pas accepté mon invitation et pendant les quatre jours de colloque, ni lui ni moi n’avons reparlé de la situation.
Six mois plus tard, mon retour dans ce pays fut annulé : le professeur en question avait pris un rendez-vous sexuel avec une mineure. Son petit ami l’attendait pour lui faire les poches. Comme il a résisté, le jeune lui a tiré une balle dans la tête. Après des mois dans un état comateux, il est devenu paraplégique.
Les organisations intramoïques en particulier, comme l’appareil psychique freudien en général, ne sont pas un conte de fée scientifique. C’est du sérieux. J’espère que Gabriel Matzneff puisse supporter ce que la Loi exigera de lui sans se dérober.