Etre bien noté dans les réseaux sociaux rapporte des patients via Doctolib
Fernando de Amorim
Paris, le 11 avril 2020
Une dame, charmante, il faut le dire, et je l’écris très sincèrement, a pris rendez-vous avec moi sur le site Doctolib, site que je ne connaissais pas mais auquel je me suis abonné pour être à la page et parce que je me suis laissé influencer par quelqu’un qui compte. Ce quelqu’un qui déjà, il y a quelques années, m’avait interpellé après une supervision : « Monsieur, vous ne pouvez pas ne pas avoir un site internet ! ». C’est grâce à lui qu’aujourd’hui j’ai un site internet à mon nom, mais aussi un Facebook et désormais un compte Doctolib. Bien entendu je n’ai pas les codes, je ne sais pas si j’ai les mots de passe pour y accéder et donc… je n’y vais jamais.
Ces instruments de notre modernité doivent être utilisés psychanalytiquement, c’est-à-dire, de telle sorte qu’ils puissent porter l’être, le patient comme le praticien, qu’il soit médecin, psychologue, psychiatre ou psychothérapeute, vers la construction de position de sujet et ainsi continuer à occuper la position d’objet d’une machinerie imaginaire qui ne pouvait être arrêtée que par le Réel, dans notre cas de figure, le Réel est incarné aujourd’hui par un virus.
Ainsi, j’appelle téléphoniquement la dame qui a pris rendez-vous dans un mois. Je lui demande pour quelle raison une date si lointaine.
– Ce n’est pas urgent donc ?
– Elle : Non !
– Donc vous n’êtes pas souffrante ?
– Elle : Ҫa dépend de ce qu’on entend par souffrante…
– Qui vous a donné mes coordonnées ?
– Elle : Vous êtes bien noté sur internet.
Avec de tels indicateurs cliniques, je lui conseille de garder son argent.
Les gens pensent que la médecine est devenue un objet jetable. La preuve de cela est que récemment, des médecins m’ont signalé que les gens prennent rendez-vous sur Doctolib et annulent « sans scrupule, sans justificatif, sans gêne », selon l’un d’eux.
Je suis bien noté, mais je pourrais tout aussi bien l’être mal. Je ne sais pas en quoi je mérite une bonne ou une mauvaise note de la part de gens que je ne connais ni d’Êve ni d’Adam. Les gens qui ont l’autorité de juger mes opérations cliniques me fréquentent quotidiennement, d’une manière ou d’une autre.
Quand j’avais nommé « populace internautique » ces zombies derrière leur écran qui disent ce que doit ou ne doit pas faire le Président de la République, le Premier Ministre ou le Ministre de la Santé à propos de la crise que nous traversons, je souhaitais mettre en évidence la puissance qu’a l’Imaginaire dans notre société, et, il faut le reconnaître, à faire et défaire l’honneur d’un homme. Avec des effets dans la réalité de la vie de ceux qui subissent leurs foudres.
Si j’étais mal noté sur internet, cette missive serait la plainte d’un malheureux. Comme je suis bien noté, je peux dire ce que j’ai toujours défendu : nous vivons dans un pays très solide. Ce qui n’est pas solide ce sont nos vies. Aujourd’hui ici, demain mort. Simple comme bonjour.
Quand je reçois quelqu’un, je vais à l’essentiel, comme le fait n’importe quel clinicien. J’écris clinicien, pas praticien. Pour un clinicien, pas de salamalec. La relation clinique avec un psychanalyste – différemment de celle avec le psychologue, le psychiatre, le psychothérapeute, les techniciens du comportement que sont les técécistes – exige de l’héritier de Freud qu’il a à l’esprit que celui qui souffre ne vit pas convenablement, de là l’importance d’une formation exigeante, ce qui est le cas de la formation du psychanalyste français. Comme un félin, le psychanalyste doit saisir le bon moment pour dire comme pour se taire.
Comment faire naître le désir voilé, oublié, troublé ? En dégageant, avec courtoise et bienveillance, dès le premier contact par téléphone, les demandes, les tentatives de séduction, les tromperies.
Les gens annulent les consultations, parce qu’à l’autre bout du fil il n’y a personne.