L’hôpital de demain – II
Pour la présence clinique du psychiste
en partenariat avec les médecins dans les urgences, à l’hôpital et en ville
Fernando de Amorim,
Paris, le 22 mai 2020
Manque de moyens humains et financiers des structures médicales publiques
Le manque de moyens humains et financiers sont liés : nous avons en France une armée de psychistes – psychiatres et surtout psychologues – sans travail et avec une formation clinique insuffisante car éloignée de la clinique psychanalytique freudo-lacanienne. Notre proposition est que soit installé dans chaque service d’urgence un psychiste (psychologue, psychiatre) formé à la psychanalyse et qu’il soit responsable d’accueillir des étudiants désireux de devenir psychothérapeutes ou psychanalystes. La formation psychanalytique, à la française, donne au psychiste la possibilité d’évaluer si la personne qui demande rendez-vous aux urgences souffre psychiquement, corporellement ou organiquement. Supposons maintenant qu’il s’agisse d’une souffrance organique avérée (une maladie comme un cancer, un accident avec saignement). Dans ce cas de figure, évidemment, le médecin doit intervenir en urgence. Cependant, il passera le relais au psychiste – processus que nous appelons cônification du transfert –, au moment où le médecin l’estimera nécessaire, pour que le psychiste puisse recevoir le patient – processus que nous appelons installation du transfert –, et ainsi lui proposer un rendez-vous psychothérapeutique. Cette proposition est le résultat du travail de notre équipe avec les malades de médecine (chirurgie, psychiatrie et autres spécialités médicales) depuis 1991.
Dans le cas des médecins en ville, la proposition est la même : qu’ils adressent leurs patients à un psychiste ayant une formation psychanalytique dans le cadre de la cônification du transfert.
Conséquences financières
Notre proposition génère une économie des dépenses médicales évidente. Depuis que nous avons commencé notre Consultation publique de psychanalyse (CPP), en 1991, à l’hôpital Avicenne (AP-HP), nous avons remarqué chez les patients en psychothérapie et surtout en psychanalyse, la diminution de la prise de médicaments, d’hospitalisations et des arrêts-maladie. Une telle diminution peut être à l’origine de la création des postes de psychothérapeutes et psychanalystes à l’hôpital. Pour cela, nous demandons la mise en place d’un tel projet pendant six mois, renouvelables si accompagné de résultats favorables du point de vue des symptômes cliniques, des économies budgétaires et de l’apaisement social du patient et de son entourage.
Faiblesse des salaires
La faiblesse des salaires est une conséquence logique de l’absence d’argent. Le gaspillage en médicaments et examens inutiles représente autant d’argent qui ne peut être investi dans les professionnels qui doivent soigner des personnes ayant une maladie organique que justifie l’acte médical. Nous pensons que les symptômes psychiques et corporels doivent être adressés aux psychistes ayant une formation psychanalytique comme celle proposée par le Réseau pour la psychanalyse à l’hôpital (RPH).
Suractivité des services en lien avec une réduction du nombre de lits et places disponibles
La suractivité des services est due au fait que les trois registres (organiques, corporels et psychiques) sont mélangés chez le malade et que le corps soignant ne sait pas faire la distinction, ce qui est normal puisqu’il a été formé au registre chimio-physio-anatomie et non au registre du fantasme, du désir et du signifiant, champ opératoire par excellence du psychiste. De là, l’importance de la formation psychanalytique du psychiste qui veut travailler en médecine : « psychologue » et « psychiatre » ce sont des diplômes universitaires. Il faut, pour cette activité spécifique de partenariat avec les médecins dans les services d’urgences, dans les services hospitaliers et en ville, choisir des psychistes ayant le désir d’opérer en tant que cliniciens. Quelqu’un qui cherche un boulot ne supportera pas les exigences d’une telle clinique.
Dégradation des conditions d’accueil des patients et de travail des soignants
La dégradation des conditions d’accueil des patients et le résultat de la demande de porter une charge que les soignants, ne sont pas habilités à porter. Notre proposition est que le psychiste puisse être avec l’équipe et au service de la clinique. Pour cela, il faut qu’il soit clinicien, qu’il puisse accueillir la souffrance (plaintes, demandes) des patients mais aussi des soignants.
Financement et gouvernance inadaptés
Il faut financer l’installation du psychiste à l’hôpital à partir de son désir et non avec un salaire fixe. Il travaillera à l’hôpital en assurant la clinique et les supervisons de la clinique des étudiants désireux de devenir psychistes à leur tour. C’est sa compétence qui lui fera gagner sa vie. Ainsi, les étudiants en psychologie et psychiatrie qui souhaitent travailler à l’hôpital, doivent être en psychanalyse et venir trois fois par semaine à l’hôpital pour apprendre la clinique. Si un patient souhaite continuer une psychothérapie avec lui, il pourra utiliser les locaux de l’hôpital. Ce qu’il gagnera comme revenus, il en conservera la moitié pour lui, l’autre lui servira à la location de la pièce de consultation à l’hôpital. L’habitude d’attendre que l’État aux mamelles généreuses offre des médicaments comme des bonbons et des lits comme des berceaux, forge des mous, sans disposition à construire leur vie à partir de leur désir, cette habitude doit être perdue.
Les tensions qui s’exercent sur le système français de soin
Désertification médicale : Les étudiants en psychologie et psychiatrie qui souhaitent devenir cliniciens doivent s’installer pendant 48 h par semaine dans les zones désertées et proposer des séances de psychothérapie à la population. Ils dormiront sur place, une nuit, dans le local proposé pour les consultations cliniques dans un bâtiment public (La Mairie ou la caserne des pompiers ou la Gendarmerie). Le système de financement sera le même : l’étudiant payera avec la moitié des revenus de sa consultation le local à la Mairie, caserne, gendarmerie. Une telle aventure est possible quand on a vingt ans…
Inégalités territoriales : penser que nous allons diminuer les inégalités liées à la situation économique, sociale, à l’âge ou à la maladie sans prendre en compte le désir de chaque français est illusoire. Le travail du psychiste est de mettre en évidence le désir de l’être, cette évidence est une construction qui prend du temps. De là, l’importance de compter avec le désir des jeunes qui deviendront des cliniciens.
Pour défendre et sauver l’hôpital public, une inquiétude des professionnels de santé et de la population en général, il faut un mouvement d’éducation de la population de l’usage des acquis sociaux du pays. Et cela passe par un travail impossible, qui ne peut, aucunement, justifier que qui ce soit puisse s’appuyer sur cette vérité première pour ne pas le faire.