Des Arrêts-maladie à en pleuvoir
(II)
Fernando de Amorim
Paris, le 10 juin 2020
Le Moi du tyran sociétal porte son discours à la société. Quand j’évoque le Moi tyrannique, je pense au Moi de l’homme qui agresse la femme, au Moi de l’épouse qui tape les enfants, mais aussi au Moi du salarié qui se venge du patron en utilisant des arrêts-maladie, tout comme au Moi du médecin qui donne des arrêts-maladie parce que le salarié se plaint d’angoisses, d’anxiétés, de troubles psychosomatiques. C’est extraordinaire d’être généreux avec l’argent d’autrui. Les médecins du travail montreraient-ils autant de générosité et d’efficience à arrêter pendant des mois, voire des années, des gens qui souffrent de leur rencontre avec leurs limites face à l’existence.
Le clinicien a ici la preuve que la violence voile la souffrance du Moi et son refus de castration car, la castration, la vraie, est le fruit d’une psychanalyse. Reconnaître que le Moi souffre ne lui donne pas l’autorisation d’agresser l’autre, que ce soit avec son agressivité franche ou avec son agressivité voilée sous forme de sadisme envers les plus faibles, des plaintes sans fin, des victimisations en tout genre soit parce qu’on est de couleur bleu clair ou bleu foncé, parce qu’on est triste ou gay, parce qu’on a été contaminé par la COVID-19, dans une sorte d’américanisation connerique du discours sociétal. Si la connerie prend une tournure chronique dans le discours sociétal c’est parce que le Moi – refusant l’Autre barré incarné par une politique où l’être est au cœur des préoccupations des dirigeants –, préfèrent s’identifier à un pays où les gens vivent dans une idéologie tribale, comme c’est le cas dans les quartiers nord-américains, où les gens vivent selon leur couleur de peau, dans une lecture génétique ; où l’origine, dans une lecture botanique de l’être. Une telle logique est incompatible avec la structure de la société française.
La logique tribale, familiale, peuplade des anglo-saxons, des africains, des asiatiques caractérise leur discrimination. Le point commun c’est que le Moi a peu de mémoire, a la vue courte et n’entend que ce qui lui convient. La logique tribale apportée en France par des malheureux, des perdus, des tristes, contamine la République et la rendra de plus en plus malade. De toute manière, la visée des organisations intramoïques est de détruire ce qui est beau.
Une dame vient me rendre visite et j’apprends qu’elle est en arrêt-maladie depuis 4 ans. J’examine sa plainte et cela ne justifie pas autant de temps sans travailler, tout en recevant son salaire. Maintenant qu’elle ne pourra plus recevoir des arrêts-maladie, un dossier « handicapé » est suggéré par son médecin-traitant. Je remarque qu’elle s’aliène de plus en plus de la vie sociale. Un autre patient, pas plus loin qu’aujourd’hui, et en suivant les conseils de son médecin, a été reconnu comme handicapé et reçoit lui aussi des aides de l’État, c’est-à-dire, de la solidarité nationale. Maintenant je suis « adulte handicapé », dit-il sans cacher une certaine satisfaction. Une dame, je l’appellerai « Elle je …. n », ne fait pas son travail de secrétaire et se met en arrêt-maladie. Après un, deux, douze mois sans travailler tout en envoyant des arrêts-maladies mensuels et demandant à être payée, porte l’affaire devant les autorités compétentes. L’employeur refuse de cautionner cette situation en refusant de lui payer l’excédant exigé par le Moi offusqué de la plaignante. Elle envoie son compagnon pour négocier. L’employeur refuse. Au bout de six mois, l’employeur demande au médecin-conseil quelle est cette maladie qui empêche la dame de se rendre au travail. Huit mois d’arrêts-maladie plus tard, et probablement parce que le médecin-conseil signale au médecin-traitant de la dame d’examiner le dossier avec plus d’attention, ce dernier cesse de donner des arrêts-maladie comme autant de bonbons. C’est bien d’être généreux avec l’argent des autres.
La dame porte une autre fois l’affaire aux Prud’hommes. L’employeur gagne l’affaire. La dame affamée veut 30 000 euros. Elle vient au rendez-vous avec une avocate. L’employeur vient seul et les Prud’hommes décide que l’employeur doit payer 13 000 euros.
Entre temps, l’employeur découvre que la maladie qui empêche la dame de travailler est un trouble psychosomatique, selon le médecin du travail. L’efficience ici du médecin du travail saute aux yeux par son absence.
La dame retourne voir le médecin du travail qui décide qu’elle ne peut pas reprendre le travail. En d’autres termes, elle ne veut pas travailler mais veut être payée. Maintenant, c’est toute la société qui portera cette lourde dame.
Mon regretté ami, le Docteur Philippe Saffar, disait que les patients ayant une profession libérale et ayant étant opérés pour une maladie de la main, retournaient au travail en quelques jours, pendant que les employés prennent des semaines, des mois, voire des années pour retourner au travail. Pour quelle raison ? « Parce qu’ils ont toujours une douleur ici et là ! », selon Philippe.
Comment un pays, tel un bateau, avec un exceptionnel système de santé comme le Nôtre, peut continuer à avancer si de moins en moins de gens refusent de ramer ? Quel exemple donnent-ils aux générations à venir ? Quel avenir pour des jeunes qui voient des majeurs – ils ne sont pas encore adultes – se comporter de manière si pauvre dans leur rapport à leur désir ?
La solution est d’introduire le désir psychanalytique dans le débat social, social et non sociétal car un psychanalyste ne fait pas la queue pour montrer sa gueule à la télé. Introduire le désir psychanalytique c’est introduire le psychanalyste dans la consultation médicale.
De quelle manière ? En proposant que les arrêts-maladie soient associés à des rendez-vous avec un psychanalyste. Le patient aura le droit de refuser, bien sûr, mais l’arrêt-maladie sera limité dans le temps et avec perte de salaire de moitié.
Quelques médecins ont besoin d’amour. Ils l’expriment en offrant des arrêts-maladie dès qu’ils entendent une plainte ou une demande. Le problème est qu’ils offrent des cadeaux aux frais de la princesse, comme il se dit.