Du roc au nœud de la culpabilité de réussir son existence
(III)
Fernando de Amorim
Paris, le 19 juin 2020
Introduire le biologique dans le roc de la castration, comme l’avait fait Freud, c’est une manière du clinicien d’aujourd’hui de se dédouaner de sa responsabilité, de distinguer la vie de l’existence. Le champ de recherche et d’étude de la biologie c’est la vie, le champ opératoire du psychanalyste c’est l’existence de l’être. Le désir est son objet d’étude.
La limite indépassable pour quelques praticiens, indique leur refus de continuer sa psychanalyse après avoir construit sa première sortie de psychanalyse. Si le clinicien continue sa cure, au moment où il sera confronté au roc de la castration du psychanalysant et que, après examen minutieux, ce dernier constatera que le Moi du psychanalysant ne veut pas céder, que le Moi ne veut pas se laisser pénétrer par la castration, le clinicien peut considérer qu’il a fait son travail de manière satisfaisante.
Quand le Moi, au nom du transfert, empêche la castration en visant l’autre, le psychanalyste, les parents, la femme, pour ne pas leur donner la satisfaction de sa réussite à lui, au Moi, « juste pour faire chier », comme a dit une charmante créature, le psychanalysant est capable, par vengeance, de ne pas guérir. Il s’agit ici d’un problème relativement facile à régler ; quand le patient, pour ne pas perdre la parole, pour ne pas donner sa parole, préfère ne pas parler, rien dire, l’affaire alors devient plus délicate. Ici s’installe le silence, silence qui pourra pousser même le Moi à abandonner la psychanalyse, faisant ainsi couler le bateau de la cure au bord de la plage.
La parole ici est traitée comme un phallus imaginaire (φ), mais c’est ce qui caractérise le Moi et il tient. Quelques-uns parleront du caractère, de la personnalité propre au patient. Je n’adhère pas à cela un seul instant. Ce refus d’associer librement est inconscient et le psychanalyste doit aussi mettre de son désir pour faire avancer la psychanalyse, avec respect du Moi et surtout sans bousculade.
Les conséquences de ce refus du Moi d’être traversé par la libido et par le désir de l’Autre barré forment, forgent et nourrissent de libido le symptôme psychique, corporel ou organique.
Parler son corps est la première règle médicale que j’utilise à l’entrée d’une psychanalyse, la deuxième est d’examiner si le psychanalysant a des symptômes corporels ou organiques à la sortie. S’il a des symptômes dans le corps ou dans l’organisme tout en disant qu’il est sorti de psychanalyse, le psychanalyste a la preuve que la psychanalyse n’est pas arrivée à son terme.
Dans une sortie de psychanalyse, le désir se décline dans une seule direction, celle de la construction désirante. L’expression du désir castré, le manque, peut se caractériser de plusieurs manières, à savoir, par la disposition à la joie, à l’amour, par le soin de son corps, de l’autre et de son corps, par le respect. Sans être moraliste, je veux simplement signaler que, quand quelqu’un est content, il n’a pas de raison d’être triste. Et la joie rend léger.
Le roc de la castration freudien est un nœud mis en place par le Moi (a), pour montrer qu’il a le pouvoir (φ). Il veut montrer qu’il n’a pas cédé à l’Autre barré (Ⱥ). Et pour cela, le Moi est capable de sacrifier tout l’appareil psychique, comme le scorpion. Dans la fable d’Ésope, le sacrifice de l’autre qui le porte est la nature de l’animal, c’est sa biologie. Chez le Moi de l’être parlant, le psychanalyste pourra, peut-être, éviter qu’il, le Moi, puisse pousser le bouchon si loin. C’est ici qu’entre en jeu le concept du désir du psychanalyste. Pour éviter la mort à l’autre, le clinicien doit être au clair avec son désir de saboter, voire détruire sa propre existence. De mon expérience, ils sont loin, très loin de ce compte d’être au clair.
Quelques-uns visent les textes de Freud et de Lacan pour trouver des solutions à leurs impasses cliniques. Il est possible de parcourir toute l’œuvre de ces deux auteurs majeurs pendant toute une vie, mais les instruments pour descendre dans l’arène clinique ne se trouvent ni dans les livres, ni sur les bancs universitaires, même s’ils sont nécessaires.
La construction d’une solution se trouve dans sa psychanalyse personnelle, dans la continuité de sa psychanalyse personnelle après avoir construit sa première sortie ; dans les groupes d’étude des œuvres de Freud et de Lacan, étude portée par une clinique quotidienne solide, et non celle que j’appelle pratique touristique, où le psy est psychiatre le matin et analyste l’après-midi, où le psy est psychologue deux jours de la semaine et enseignant trois jours. Les stratégies trompeuses du Moi au nom de la psychanalyse sont légions.
La clinique c’est tous les jours, c’est parfois le soir, le week-end. Et cela parce qu’il faut saisir les formations de l’inconscient au vol. Elles n’obéissent pas au doigt et à l’œil du maître d’école, aux diplômes, aux cheveux blancs…
La préoccupation de l’impasse freudienne par Lacan ne sera pas réglée car le premier n’a pas fait une psychanalyse et que le deuxième avait abandonné – pour ne plus jamais revenir – la sienne.
L’impasse, le roc, qu’il soit de la castration ou de la structure, ne sont-ils pas l’autre nom de la résistance de l’analyste au désir, à la psychanalyse, à sa propre existence ?