Pour une articulation possible
Fernando de Amorim
Paris, le 6 janvier 2021
Peut-on parler d’une articulation possible entre l’organique et le psychique ? Bien sûr, à condition de distinguer les deux registres, d’exclure les voies sans issues et de proposer concrètement des manières d’opérer côté médecin et côté psychanalyste.
De la distinction
Le psychisme concerne l’Imaginaire et le Symbolique. L’organique concerne le Réel. Ils ne se touchent pas, ils s’entrecroisent. La croyance qu’il est possible d’opérer sur l’organique –quand ce dernier est malade – avec le registre Symbolique, est bel et bien une croyance, produit des interprétations imaginaires nées du Moi de celui qui interprète.
Une telle interprétation renforce les organisations intramoïques, mais ne produit pas de castration de l’Imaginaire, par le Symbolique issu de l’Autre barré ni, surtout, de dégonflement du Moi de celui atteint dans son organisme.
Les voies sans issues
Plusieurs praticiens ont proposé des lectures de l’organisme malade et du corps souffrant qui me poussent à parler de voies sans issues : Reich, Groddeck, Marty et quelques élèves de Lacan ont pris des voies sans issues.C’est le cas des interprétations balancées par les psychosomaticiens et par les analystes au cours des cures.
Il me vient à l’esprit une remarque d’un analyste quand j’avais signalé que j’avais soupçonné que mon enfant, encore nourrisson, ne se réveillait pas dans son porte-bébé. Nous étions au Centre Georges Pompidou et dans l’escalier mécanique, je remarquai que sa tête penchait en proie à un sommeil profond.Comme il ne bougeait plus, je commençai à le secouer. Il ne réagissait pas. Je le sortis du porte bébé et lui fis du bouche-à-bouche. Il ne réagissait pas. Je le pris par les pieds et tapai de plus en plus fort la plante des pieds et les fesses. Il commença alors à pleurer. Les pompiers
arrivent et le conduisent en observation à Saint-Vincent de Paul où il restera plusieurs jours en observation à subir toutes sortes d’examens.
Quand j’ai raconté cela en séance, l’analyste me dit : « Laissez votre enfant respirer ! ». Cette intervention est maladroite. D’abord il faut
appuyer le geste. Ensuite examiner si, effectivement, le père ne laisse pas l’enfant respirer.
Un autre analyste avait interprété le besoin de punition d’une psychanalysante qui venait de Province faire ses séances à Paris et qui, en attendant l’heure de ses séances, baisait avec plusieurs hommes aux alentours de Pigalle, dans les petites ruelles, dans les entrées des immeubles et toujours avec plusieurs partenaires en même temps. C’est grâce à ce Monsieur, récemment décédé, que j’avais instauré un examen détaillé des pratiques à risque.
Dès que quelqu’un évoque ses premières relations sexuelles, la reprise ou l’échange de partenaires, je pose des questions liées à son savoir et l’usage de son savoir sur la prévention des maladies sexuellement transmissibles ; aujourd’hui j’ai ajouté à ma liste sa manière de se protéger de la COVID-19.
Une autre analyste, avait vanté dans un colloque d’hématologie à l’hôpital Saint-Louis (AP-HP) sa clinique en évoquant l’Œdipe d’une patiente atteinte d’un cancer. Un médecin à la fin de son intervention lui demande des nouvelles de ladite dame : « Elle est décédée ! », répond-elle.
Les psychologues, les psychiatres, les psychothérapeutes, que j’appelle psychistes, ainsi que les analystes, interprètent le Réel avec un Symbolique imaginarisé-, c’est-à-dire, un Symbolique issu de l’Autre non barré et non un Symbolique issu de l’Autre barré, celui qui échappe, malgré le Moi, par l’enclos des dents, comme a écrit Homère.
Ces interprétations, ne sont pas sauvages car il s’agit de praticiens ayant de la bouteille, elles sont maladroites car elles ne produisent pas un effet thérapeutique, à savoir, effet de castration. Ces interprétations renforcent le Moi, le rendant encore plus fort. Jusqu’à présent, c’est la voie prise par les psychistes et par les analystes.
Des propositions aux médecins
Comme la présence de la psychanalyse en médecine sera inévitable dans ce siècle, je propose aux médecins d’adresser les patients immédiatement diagnostiqués, vers le psychanalyste car il est constaté qu’un malade de médecine (générale, spécialisée, chirurgie ou psychiatrie), réagit plus favorablement au traitement médicamenteux quand le malade ou le patient est en psychothérapie avec un psychanalyste.
Ma tentative de théorisation vise à mettre en place une clinique du partenariat (relation transférentielle entre médecins et psychanalystes) et lacônification du transfert (l’envoi immédiat par le médecin du patient vers le psychanalyste) pour que les médecins soient convaincus qu’ils ne pourront pas faire de la clinique humaine sans prendre en compte l’appareil psychique freudo-lacanien, au risque d’entrer de plus en
plus dans une pratique vétérinaire de la médecine.
Des propositions aux psychistes (psychothérapeutes) et analystes
Si le médecin ne peut pas se passer du psychanalyste pour sortir de cette pratique vétérinaire adressée aux humains qui est celle qui s’est installée et s’installe encore, les psychistes, les psys, comme les interprète la population à juste titre, ne peuvent pas se passer d’une psychanalyse personnelle. Quand aux analystes, ils pensent que, parce qu’ils ont fait 3, 10 ou 20 ans de psychanalyse, ils sont prêts pour assurer le quotidien clinique du signifiant et du désir. Ils se trompent. C’est pour cette raison qu’ils se nomment eux-mêmes analystes et non psychanalystes.
Ainsi, j’estime que psychanalyste est celui qui est sorti de sa psychanalyse personnelle et qui la continue, pour ne pas oublier ce que c’est qu’être dans la position de psychanalysant, la position qui, depuis le début de la psychanalyse, a maintenue cette dernière en vie et toujours existentiellement fraîche.