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De la barbarie sociétale à la vie sociale civilisée, et retour


De la barbarie sociétale à la vie sociale civilisée, et retour
 

Fernando de Amorim,
Paris, le 29 juin 2021

La distinction entre vie sociale et vie sociétale n’est pas dissociée des registres Symbolique, Réel et Imaginaire, de la paix comme de la guerre. 
La vie sociale fait référence à la vie des hommes en société, à la vie mondaine des soirées, des bistros, des salles de spectacles, comme le Bataclan. C’est cette vie civilisée à la française où joies, sourires et rencontres se trouvent autour d’un verre que le terroriste veut tuer. Vu de sa fenêtre il n’a pas tort. 

La vie sociale et civilisée est portée par le respect de chaque membre des règles strictes, d’où son étymologie car au milieu du XIVe siècle le mot social faisait référence au « militairement allié ». Le tissu social est le résultat d’un engagement où chacun s’engage à le maintenir bien tissé. La vie sociale est la preuve même de l’articulation entre le Symbolique (parler et non agir, voter et non se plaindre), le Réel (le repoussage de la nature par le jardinage, par la propreté) et l’Imaginaire (la jouissance aliénée à l’intérieur de chez soi). 

La massification de l’abrutissement propre au Moi de l’être humain trouve sa matérialisation en 2004, avec la mise au monde du réseau du Facebook. Il ne s’agit pas ici d’inculper ses créateurs. Loin de là. Il s’agit d’étudier le Moi et ses manières. 

Facebook n’est pas un réseau social mais sociétal, d’ailleurs j’évoque sans gêne ce que j’appelle la populace internautique quand je lis les commentaires sur le monde en général ou sur leur voisin en particulier. Donner son opinion cachée sous un pseudonyme ou menacer de mort une jeune femme avec des fautes de français à chaque phrase, entrecouper d’un appel à son Dieu barbare signe, à mon avis, que le Moi en question est à mille lieues des Lumières. Si c’est pour évoquer un Dieu, je suis capable de le faire : que Voltaire et Beaumarchais me soient témoin. La vie sociale est habillée par l’Autre barré. C’est une soie fine, mais qui civilise. La vie sociétale est une perspective, une proposition avant de devenir une injonction, un amas communautaire porté par l’Autre non barré. La jouissance est au rendez-vous, pas le plaisir d’être. Si le Moi est dégonflé dans la vie sociale, il est gonflé dans la perspective sociétale. Dans la vie sociale, le maître c’est la langue barrée, défaillante, dans la vie sociétale, c’est la novlangue, la langue du Moi, la langue gonflette, de l’Espéranto à l’inclusive. Le Moi veut du pouvoir et non la différence subjective. Facebook est le lieu où le pire comme le moins pire de l’humain sont mis en scène. 

Le mot social, quant à lui, exige l’adhésion des membres du groupe par l’éducation – ce qui suppose lire des livres –, la recherche et le soin du bien dire et l’enrichissement de la langue. Le mot sociétal est une invention du Moi, ce qui signifie qu’il n’a pas d’histoire. Le mot sociétal ne fait pas référence aux aspects de la vie d’une société mais du nivellement par le bas de l’usage de l’acte, et non l’action, de parler des êtres. Le sociétal n’est pas une régression car, pour régresser, il faut qu’une société arrive à un niveau supérieur d’usage du Symbolique et qu’elle chute. La société disparaît et laisse la place au sociétal car les êtres naissent avec Facebook et parlent américain, pays d’immigrés car ils n’ont pas de langue officielle (l’anglais est la langue officielle dans 32 Etas sur 50). Ils sont toujours à la conquête de leur Ouest à défaut de trouver leur Nord. Cela est-il propre aux américains ? Non, il s’agit du vrai de la condition du Moi. Aliéné, il n’a jamais été fourmi dans sa relation au désir de savoir et dans son rapport au désir de l’Autre barré. 

La vie sociétale, celle qui sert et est servie par le média des foules, le même qui prend en compte l’avis des réseaux sossiaux, comme je les appelle – en référence à la tyrannie de leurs actes, par la traitrise de leur délation et l’absence de scolarité – pour battre le rythme de la vie des êtres sur le merveilleux couché de soleil dans le désert du Qatar en automobile 4×4, sur la politique internationale ou sur la taille des lèvres d’une actrice (à ne pas confondre avec une comédienne). 

Dans la clinique, rappeler au patient les règles de vie en société est parfois nécessaire car un bon nombre de personnes n’ont pas reçu les bases du savoir vivre et ne comprend pas pour quelle raison les portes sociales lui sont régulièrement fermées. 

Une femme, habillée de la tête aux pieds de la robe noire des musulmans, ne comprend pas pour quelle raison elle ne trouve pas de travail. Elle se dit discriminée. Le clinicien lui demande si elle se présente aux rendez-vous vêtue de la sorte. Elle répond par l’affirmative. Estomaqué par tant d’aliénation, le clinicien suggère que peut-être cela a une relation avec sa tenue vestimentaire. Sans se troubler, elle rétorque : « Mais la France est un pays laïque ! ». 

Comment penser une société où chaque Moi veut avoir sa pitance narcissique sans rien céder de sa croyance ? Telle est la logique sociétale. Freud évoquait le narcissisme de la petite différence. Ce narcissisme, mis en évidence par Freud, détruit une société parce qu’il écrase la privation et la frustration nécessaires pour être ensemble, le principe même de la castration. Dans la logique sociétale, l’être ne vit pas sa subjectivité de manière polie et dans la discrétion domestique. Non, il veut l’étaler en public et dominer l’autre. L’intention n’est pas de porter le discours social mais de conquérir plus d’espace pour soumettre le voisin, voisin qui ne fait pas partie de sa communauté. C’est cela le discours sociétal. Il y a des personnes qui appellent pour parler au psychanalyste à 23h, à 3h du matin. Elles font cela non pas parce qu’il s’agit d’une urgence, mais « pour parler ! ». C’est cet argument, d’une jouissance à assouvir immédiatement, qui caractérise le discours sociétal. C’est un discours où le semblable n’est pas pris en considération. Le Surmoi, instance de castration symbolique par excellence, instance qui signale au Moi aliéné et jouisseur qu’il faut se retenir, n’est pas au rendez-vous : un monsieur tape une hôtesse de l’air, un autre monsieur pisse dans une bouteille dans un avion, l’autre appelle quand cela lui chante, ces expressions de méconnaissance, par le Moi, des règles du savoir-vivre, délitent le respect imposé par la vie sociale. Le mot sociétal est le remplaçant pour le Moi des foules de la retenue imposée par le Surmoi, qui faisait, le premier, que le Moi se comporte bien, favorablement, convenablement, en société. 

La prévalence du discours sociétal au détriment du discours social signale l’absence des adultes dans le tissu social et l’augmentation légitimée des majeurs, c’est-à-dire, des êtres qui sont arrivés à la majorité légale sans assumer le poids de la retenue exigé par la position d’adulte, preuve du désagrégement du Surmoi et, grâce à l’acte des organisations intramoïques, du gonflement du Moi, telle la grenouille de Monsieur de la Fontaine. La suite logique de la paupérisation de la fonction du Surmoi est l’augmentation de l’incivilité, de la violence, jusqu’à son extrême. Se vis pacem, para bellum !