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Le mouvement de la libido de l’être vivant au parlant, jusqu’à l’anorganique

Fernando de Amorim
Paris, le 24 février 2022


Introduction

Dans l’« Addenda » de Inhibition, symptôme et angoisse de 1925, Freud détaille les trois résistances du Moi (résistance du refoulement, résistance du transfert et bénéfice de la maladie), la résistance du Surmoi – « celle que nous avons reconnu la dernière ; la plus obscure, mais non pas toujours la plus faible ; elle semble prendre racine dans le sentiment de culpabilité ou le besoin de punition s’opposant à tout succès, et par conséquent aussi à la guérison par l’analyse. » –, et enfin, la résistance du Ça, qu’il rend « responsable de la nécessité de la perlaboration. ».

L’être vivant

Quand l’être vivant ne veut pas exister, il survit, il vivote. L’être sans castration est un majeur. Il est représenté par « e » (à lire : être sans barre) ; quand l’être parlant ne veut pas exister, il vit. L’être avec castration, de son Imaginaire pendant sa psychanalyse, devient adulte. Il est représenté par « ɇ » (à lire : être avec barre).

La matérialisation de l’Imaginaire est incarnée par le Moi. La matérialisation du Symbolique est représentée par la coupure, en forme de manque, de l’Imaginaire et du Moi. La matérialisation du Réel est la mort pour l’organisme.

Le paradoxe s’installe quand l’être vivant résiste à – dans le sens qu’il, le Moi « ne veut pas » – et résiste pour – dans le sens qu’il, l’être aristotélicien, devenu être parlant, adulte et après la sortie de la psychanalyse, sujet psychanalytique « veut » – exister.

Il faut prendre cette phrase par ses deux versants : l’être éthique est en vie pour arriver à devenir être parlant, pour bien dire, pour devenir sujet (à la sortie de psychanalyse), et ainsi pouvoir – car il s’agit du Phallus symbolique, indépendamment du genre –, construire son existence. Cependant, l’être vivant, pris dans sa relation avec le Moi, choisit de se cacher derrière son petit doigt pour ne pas assumer les charges que comporte le fait d’être en vie, à savoir prendre un soin attentif et sérieux de son corps.

Une remarque : que l’être prenne soin de son corps est différent de la relation narcissique du Moi à s’occuper de l’image du corps car il s’agit, dans ce cas de figure, du corps en tant que phallus imaginaire. Ainsi, résister ici prend la tonalité d’une résistance du Moi à la libido. Cette résistance, résistance du refoulement, se caractérise par une opération quotidienne de refoulement de tout matériel qui vient déloger le Moi de son aliénation, à savoir la présence de la mort dans sa vie et la recherche de plaisir de l’être d’être, dans, avec existence. « Avec » et non « dans ». Personne ne peut être dans l’existence.

Une fois que le Moi n’arrive plus à gérer l’insistance des assauts de la libido en forme de plaisir (Réel), en forme de satisfaction (Imaginaire), ou en forme plus élaborée de désir (Symbolique), il ouvre une voie d’écoulement – la bucca. C’est ainsi que j’avais nommé l’ouverture supérieure droite du schéma freudien de 1923 vers le corps. C’est ce que j’interprète comme le bénéfice que le Moi retire de la maladie, le bénéfice de la maladie freudien, que je prolonge jusqu’au registre de la souffrance psychique et corporelle, ainsi qu’à la maladie organique. Je pense qu’il m’est possible de saisir ici le concept de jouissance chez Lacan. Ce concept met en évidence la jouissance que les organisations intramoïques et le Moi tirent de la position d’être souffrant, d’être malade, d’être hospitalisé. Position nourrie par l’actuelle médecine.

De là l’importance pour le psychanalyste de savoir si l’être arrive à la consultation avec un symptôme corporel ou une maladie organique, ou s’il a déclenché un symptôme corporel ou une maladie organique depuis qu’il est en consultation chez le psychiste, qu’il soit psychiatre, psychologue, psychothérapeute ou analyste.

L’être parlant

Le psychanalyste, en tant que clinicien, ne doit pas négliger les expressions du corps pendant tout le déroulé de la cure, au risque de passer à côté de la vraie sortie de psychanalyse de l’être parlant. Ces expressions du corps, que j’avais appelées signifiants corporels, peuvent devenir des souffrances corporelles. La libido peut même se détacher du signifiant et nourrir seule ce qui est nommée maladie organique. Telle est le cheminement de la libido quand il n’y a pas de castration.

Dans la résistance de transfert, le Moi vise directement le clinicien. Il a ce dernier à l’œil pour le meilleur et le pire. Et le meilleur dans la clinique va dans le sens du pire. Le clinicien se doit d’éviter tout collage transférentiel, au risque de nourrir ce que Lacan avait appelé la relation imaginaire. Le Moi utilise le transfert pour freiner le savoir exigé pour que l’être parlant devienne sujet. Il est amusant de remarquer que le Moi des analystes utilisent le même dispositif pour ne pas laisser l’analyste devenir psychanalyste. Le tout avec la complicité jouissive de l’analyste. Cela va sans dire.

Dans le Séminaire d’Avicenne de 1996-1997, avec un jeu de mot sans subtilité ni poésie, j’avais mis en évidence le transfert dans la résistance : le transrésistance. Ici, l’amour envers le psychanalyste, la psychanalyse, le désir de savoir (transfert), cachent la résistance à la castration d’être, de devenir sujet, de devenir psychanalyste (pour celles et ceux qui ont cette prétention). L’autre versant, c’est la résistance que cache le transfert et que j’avais appelé la résistransfert. En collant – comme il est commun dans la langue allemande – un mot à un autre pour en faire naître un troisième, je vise à mettre en évidence la haine, le mépris, la jalousie (résistance), que cachent l’admiration, la sympathie, l’amour (transfert), pour l’objet incarné par le clinicien.

La résistance du Surmoi est, selon l’auteur de ces lignes, une presque avancée : si dans le bénéfice de la maladie le Moi pousse la libido vers le corps sous forme de symptômes médicaux telles les contractions ou dilatations, ou pire vers l’organisme sous forme de maladie avec lésion ; dans la résistance du Surmoi, la libido nourrit les muscles pour agression de l’autre et, pire, de son propre corps.

C’est lorsque cette résistance du Surmoi invente un bras verbal – comme il est dit du bras armé – sous forme d’Autre non barré, que la libido accède au verbe insultant. Ce verbe déplaisant peut s’inviter lors de la séance où le Moi exprime son agressivité envers le clinicien. Ce dernier doit refuser catégoriquement toute agression envers sa personne (le Moi télécommandé par l’Autre non barré) ou pire, contre son mobilier (Le Moi télécommandé par la résistance du Surmoi). Freud a enseigné que cette résistance « semble prendre racine » – la prudence scientifique est de mise –, dans le « sentiment de culpabilité ». Ici une autre remarque s’impose : quand le Moi parle de sa culpabilité, il indique au clinicien qu’il reconnaît l’action des organisations intramoïques (résistance du Surmoi et l’Autre non barré) sur lui, ce qui est un excellent indicateur de l’avancée de la cure. Quand Freud installe le sentiment de culpabilité et le « besoin de punition » dans le champ de la résistance du Surmoi, il a mille fois raison, mais il faut distinguer le sentiment qui fait partie du champ du psychisme et le besoin d’un impératif, au sens d’Aristote, qui peut sauter la frontière psychique pour aller dans le registre du corporel, voire de l’organisme, registre donc du besoin.

La libido qui nourrit le Moi et les organisations intramoïques, en poussant le Moi et les organisation intramoïques à s’opposer à la castration, fera obstruction à la guérison car la guérison, en psychanalyse, suppose l’apaisement de l’être, à condition qu’il soit responsable de son existence.

L’anorganique

J’avais écrit plus haut que l’être avec castration de son Imaginaire pendant sa psychanalyse devient adulte, et qu’il est représenté par « ɇ », l’être avec barre. En sortant de psychanalyse, il s’installe dans la position de sujet ($) ; ce qui caractérise la position de sujet après une sortie de psychanalyse c’est la légèreté de l’être dans sa danse avec le Réel. Dans la résistance du Ça, l’être est donc devenu sujet et responsable de son existence. Après sa psychanalyse, il résistera dorénavant sous forme de danse (Durcharbeitung), en d’autres termes, l’être s’en sort par le travail de danse quotidienne avec le Réel. Il s’agit de ma traduction du mot freudien. Pour effectuer cette danse, le sujet pourra compter avec son appareil psychique pour retarder la tristesse dans son existence (Symbolique), l’ennui dans son corps (Imaginaire), et la mort de sa vie (Réel).

Une fois que le Réel – l’inévitable anorganique déjà mis en évidence par Freud – reprendra ses quartiers, le sujet, soumis à cette autorité souveraine, fera sa révérence