De la décision du Moi de laisser choir l’être : le caillou dans la chaussure du psychanalyste ou la difficulté à la construction de la position féminine
Fernando de Amorim
Montmartin, le 11 février 2023
Que, par ce titre, le lecteur ne pense pas un seul instant que l’être soit victime. Il est membre actif et érectile – gewachsenen – de l’opération moïque. La pierre – Felsen – dans la chaussure du psychanalyste est un trait d’humour de ma part puisque la difficulté dans la clinique, comme l’écrit Freud en 1917 dans son texte Une difficulté de la psychanalyse, est le pain quotidien du psychanalyste. Le Moi n’est pas maître en sa maison mais il se comporte comme si. Celui qui ne supporte pas la difficulté en psychanalyse – « Qui mange le diable mange ses cornes », disait ma belle-mère – n’est pas psychanalyste.
La difficulté rencontrée pour la construction de la position féminine est l’ultime opération de la navigation psychanalytique.
Au crépuscule de sa vie, Freud écrit L’analyse finie et l’analyse infinie (Die endliche und die unendliche Analyse).
Ce qui interpelle les analystes c’est le « roc d’origine » (Gewachsenen Fels) ou encore le « roc de la castration ».
Le cœur de cette affaire, et ce qui suivra n’en est que mon interprétation, c’est la résistance. La résistance de l’homme est moins puissante que celle de la femme. La raison en est que ce dernier, où qu’il aille, se trompe. En d’autres termes, il est toujours dans une position aliénée. Cela est dû au fait que, porteur du pénis, il pense avoir le Phallus. De là toutes ses manœuvres de virilité et ses croyances d’avoir. La femme est dans la tentative d’avoir.
Sans tarder, quelques définitions s’imposent :
Femme, ici, suppose l’être vivant porteur d’un appareil génital composé d’une vulve, d’un vagin, de l’utérus, des trompes et des ovaires ; la féminité fait référence à une position de l’être qui donne à voir pour avoir. Cette position est portée par le phallus imaginaire (φ) ; le féminin est une position propre à l’être castré, indépendamment de son appareil génital. Cette position est portée par le Phallus symbolique (Φ).
La question qui m’intéresse ici est de savoir comment les femmes s’y prennent, une fois sorties de psychanalyse, pour se mettre au travail de construction de leur position féminine. La construction du féminin est la visée de l’être dans la position de sujet, qu’il soit porteur d’un appareil génital de femme ou d’homme.
Mais pour accéder à la construction du féminin, il faut sortir de psychanalyse et traverser le Gewachsenen Fels, à savoir la roche cultivée. Ici, rien d’érectile, mais du difficile, du difficile accès, et cela depuis la fin du XIVe siècle.
Mon interprétation c’est qu’après avoir quitté sa navigation océanique, l’être devient sujet. Il sera ainsi confronté à ce qui est sa vie vraie, à savoir un environnement pauvre qui ne peut donner qu’une culture pauvre, car son terrain structurel vrai est rocailleux, rustique. Il s’est caché cela depuis sa naissance. Mais, maintenant, il peut compter avec son désir pour irriguer cet environnement et cultiver, avec ses moyens propres, sa culture, dans le sens agricole, à savoir colture, qui au milieu du XIIe siècle faisait référence à la « terre cultivée ».
Selon mon interprétation donc, la « roche cultivée » signifie, ici, cultiver son jardin sur un terrain rocheux. Cette rocaille sera sa construction, son imitation des jardins naturels des montagnes. La présence des petits rochers, des galets, des pierres volcaniques est la preuve qu’à la sortie de psychanalyse, le Moi sera toujours au rendez-vous et que la construction d’une existence, d’une terre cultivable avec l’inévitable, car structurelle, rocaille, est ce que le sujet fera, pour honorer son existence, jusqu’à sa mort.
En naissant, l’être est accouché à la vie, en sortant de psychanalyse, l’être a décidé de s’accoucher à son existence sur un terrain structurellement aride, rocailleux.
À la sortie de psychanalyse donc, le sujet se confronte à son vrai environnement, à savoir un terrain pierreux, couvert de cailloux. Cet amas de pierres, il a toujours voulu ne pas le voir, ne pas le savoir, il n’a jamais voulu en entendre parler. Il n’avait pas tort puisque rien ne peut être cultivé dans cette rocaille. Avec sa sortie de psychanalyse, il est dans la position de celui qui, à partir de rien, construira, cultivera la roche. Ce qui naîtra de cette roche cultivée, de cette culture sera son existence.
Freud évoque une résistance parfois indépassable, dans le cas de la femme, l’envie du pénis, l’aspiration positive à la possession d’un organe génital masculin ; pour l’homme, la rébellion contre sa position passive ou féminine. Il n’a pas tort puisque le Moi ne veut pas de la construction, qui est pour lui synonyme de castration à la sortie de psychanalyse : ou il est le maître ou il détruit tout. Le Moi d’une psychanalyste de l’école a joliment donné raison à Freud récemment.
Freud mettra en évidence le refus de la féminité en l’associant à un fait biologique.
Que nenni !
Je suis, grâce à l’enseignement de Freud et de Lacan, plus ambitieux : c’est au psychanalyste d’utiliser les moyens dont la clinique psychanalytique dispose, pour faire en sorte que l’homme et la femme puissent aller dans la voie de la construction de leur subjectivité et cette subjectivité est, pour les deux sexes, féminine. L’homme, sans être dérangé par ses organisations intramoïques et le discours sociétal, est naturellement viril ; la femme, sans être dérangée par ses organisations intramoïques et le discours sociétal, cherche le viril. Si elle utilise la féminité pour attirer le viril à elle, c’est pour, ensuite, jouir dans la position féminine. Si elle nourrit sa féminité après avoir jouit, c’est qu’elle veut le phallus. Le Moi de l’homme, qui par structure ne comprend pas la femme, met en évidence son semblant viril pour séduire, comme une femme, ce qui pousse le Moi hystérique à faire couple avec lui ou qui fait fuir une femme qui cherche du viril pour jouir.
Le psychanalyste ne doit pas se contenter du caractère indépassable de la résistance du sujet à construire son féminin. Céder à la puissance du Moi à refuser de construire son féminin, c’est détruire toute la navigation psychanalytique. Céder aux chants des sirènes, des séductions, des colères, des propositions de compromis du sujet – ce qui suppose qu’il est sorti de psychanalyse – est une faute grave du psychanalyste. C’est même un déshonneur du point de vue éthique.
Il n’est pas question « d’inciter les femmes à abandonner leur désir de pénis comme irréalisable », mais qu’elles puissent, en tant que sujet, construire à partir du rien, à partir de leur environnement structurel, à savoir la roche cultivée. Cultiver, ici, signifie semer et récolter les fruits de leur plantation, entre les roches.
Ce que le Moi veut, et je le comprends, c’est que tout « reste en état ». Pour le psychanalyste, une telle option est impossible à tenir. S’il la tient, il nourrira l’aliénation qui se caractérise par la formation des analystes et des psys de tout bord.
Cela signifie-t-il que la psychanalyse n’est pas de ce monde (Jean, 18, 36-37) ? Cela signifie que le Moi est ailleurs et que le monde vrai commence avec le féminin plantant, humidifiant la rocaille qui était sa vie jusqu’à présent. C’est ici que je situe la naissance du sujet et le début de son existence.
La sexualité n’est pas une énigme puisque, depuis la nuit des temps, les êtres se sont dépatouillés avec, et plutôt bien. C’est construire à partir du rien, son vrai environnement rocheux, qui représente un casse-tête pour l’être.
Le psychanalyste, en tant qu’être (position) et en tant que clinicien (objet cause de désir) a une responsabilité que l’auteur de ces lignes doute énormément de sa compétence à tenir. Le lecteur remarquera que, par l’articulation de la phrase, l’auteur de ces lignes se met dans le même sac. Cela va de soi.
Sur cette compétence à tenir, je pense à Hippocrate qui disait pouvoir reconnaître un excellent médecin, comme un pilote (de navire), aux moments des situations de crise et non quand le patient va bien, pour l’un, et aux moments de mer d’huile, pour l’autre. Il y a quelques années un prof de fac, ce qui est différent d’un professeur de faculté, disait donner aux étudiants les armes de la psychanalyse (« Carnage assuré ! », avais-je rétorqué). Pas plus tard qu’hier, un analyste défendait l’idée de l’existence des « psychologues lacaniens », ce que je réfutai catégoriquement. Il argumenta : « Il s’agit des psychologues qui reçoivent des patients et qui se réfèrent à Lacan ». Comme j’étais sur son divan, je lui avais dit : « Votre stratégie mérite un zéro pointé. Vous validez une stratégie qui ne rend pas service à ceux qui sont reçus et vous aliénez ceux qui s’y réfèrent. ».
Cette absence d’ambition du Phallus symbolique pour soi-même, pour la psychanalyse, pour l’autre, le semblable, pour la société française, est une manière larvée de haine qui vise l’accomplissement pulsionnel de la destruction.
Je ne suis pas d’accord avec cette politique de vie car elle empêche la construction de l’existence du sujet.
Au contraire d’être un phénomène hors-sens, le roc d’origine est ce qui est de plus humain car il indique la rencontre de l’être avec ce qui est l’existence humaine, un environnement rocheux à cultiver.
Le roc ne renvoie pas à l’origine de l’être mais du sujet. La question est de savoir ce qu’il veut faire maintenant qu’il sait ce qu’est pour de vrai son existence.
Il ne s’agit pas non plus d’une impasse interprétative mais d’une invitation à la construction de son existence à partir des matériaux qui sont les siens, à savoir cailloux, roches, pierres, caillasse…
Le roc ne vise pas une exclusion réciproque, mais une contribution inévitable, structurelle, du Moi dans la construction de l’être dans la position de sujet. La solitude est l’indicateur de la présence narcissique du Moi, qu’il s’agisse de souffrance jusqu’aux larmes, de haine jusqu’à l’abandon.
En d’autres termes, le biologique n’est pour rien dans l’affaire. Il s’agit d’une décision de l’être : ce dernier a choisi le Moi à l’Autre barré.