Sur la paranoïa
Fernando de Amorim
Paris, le 7 avril 2023
Pour M. B.
Introduction
Supposant avoir affaire à une paranoïa, mais sans preuve clinique, le clinicien doit attendre le passage des étapes fondamentales pour se prononcer. C’est à partir de ces étapes qu’il pourra savoir comment manier le transfert, suspendre les séances, ne pas s’étonner face aux avancées par à-coup (comme je les appelle) de la dynamique de la cure – psychothérapie ou psychanalyse – propre à l’être de structure psychotique.
Une fois la preuve acquise qu’il s’agit bien d’une paranoïa, le clinicien pourra, grâce au transfert, conduire la cure en contenant le Moi et éviter ainsi le passage à l’acte.
Relation intersubjective
En psychothérapie, une femme se sent persécutée par un homme (Preuve 1). Cette preuve signe la relation intersubjective (a – a’). La persécution, sans preuve clinique suffisante dans la réalité mais validée par l’examen de la certitude, confirme l’hypothèse qu’il s’agit d’une structure paranoïaque. Ce qui est le cas de la dame ci-dessous.
Le clinicien continue à nourrir le transfert et installe, dans la mesure du possible, la technique de l’écarteur afin d’éviter l’hospitalisation, le passage à l’acte et invente un apaisement qui permet à l’être de s’insérer socialement, à savoir : aimer et travailler.
Dans le cas de cette dame, le clinicien constate que son objet de persécution change de sexe. Son persécuteur est maintenant une persécutrice, donc du même sexe qu’elle (Preuve 2). Le clinicien a ici l’indicateur que le Moi navigue sans direction (« mon voisin me persécute ! », « mon chef me harcèle ! », « un Monsieur dans la rue me regarde fixement ! ») :
« ——– Moi— (« mon voisin me persécute ! », « mon chef me harcèle ! »…) →
——-structure—— »
Ci-dessus, le lecteur remarquera la distance entre les dire du Moi et la structure qui est la sienne.
En revanche, une fois que le Moi trouve un objet du même sexe, il s’approchera davantage de sa structure :
« ——–Moi— (« ma voisine me veut du mal ! », « une femme me suit dans la rue ! ») →
——-structure—— »
Jusqu’à que le Moi navigue sur la voie structurelle qui est la sienne :
« ——–Moi———structure—– »
Le clinicien prend soin d’éviter tout passage à l’acte, comme lorsque l’objet de persécution de cette dame était de sexe opposé au sien. Il faut signaler que, dans ce cas de figure, le risque de passage à l’acte est moins important que lorsque le sexe du persécuteur est du même genre que celui du persécuté.
Le passage à l’acte paranoïaque est la preuve de l’approximation extrême du Moi (a) avec l’objet (a’), comme représenté dans la figure ci-dessous :
a – – – – – – – – – a’ → a – – – – – a’ → a – – – – a’ → a – – – a’ → a – – a’ → aa’ = Passage à l’acte
Pour éviter le passage à l’acte, le clinicien installe le transfert comme filet et l’autorité du transfert comme camisole de force symbolique, ainsi que la castration symbolique comme moyen de dégonflement du Moi.
Relation intrasubjective
Cette relation concerne l’Œdipe (Preuve 3). Cette relation ne concerne pas la mère ou le père, mais les parties conscientes et inconscientes du Moi ainsi que les organisations intramoïques du père et de la mère. Ce sont les parties conscientes ou inconscientes du Moi de la mère qui ont empêché l’être enfant de devenir sujet, pour être objet du Moi ; le Moi lui-même soumis aux injonctions des organisations intramoïques. Ce sont les organisations intramoïques du père, avec le consentement de son Moi, qui ont empêché l’être du père de devenir adulte et d’occuper une position de celui qui barre la jouissance de l’Autre non barré ainsi que la violence de la résistance du Surmoi maternel.
Quand le Moi quitte la relation « a – – – – a’ » et se tourne vers les organisations intramoïques (Preuve 4), le clinicien reconnaîtra que le Moi quitte la relation imaginaire pour s’occuper de son propre appareil psychique : il se mêle de ses « affaires ! », il s’occupe de ses « oignons ! ».
En se tournant vers ses propres organisations intramoïques, le Moi instaure une relation intrasubjective qui indique l’avancement de la cure. Ce type de relation se présente le plus souvent quand l’être est en psychanalyse.
Le choix de la structure psychose
À sa naissance, l’être est pris dans le champ intramoïque (A non barré et résistance du Surmoi) de la mère (Preuve 3). Cette relation ne peut être qu’intime. C’est l’être de la mère qui, se sentant insuffisant, demande la présence, et donc la castration de l’Autre barré, matérialisé par un adulte ou par un Autre barré prime, tel que le psychanalyste. C’est le Moi de l’enfant, appuyé par l’être de la mère, qui donnera une incarnation à l’Autre barré en nommant « mon père » le Monsieur qu’il côtoie, ou en reconnaissant en quelqu’un d’autre, un oncle, un professeur, voire la mère elle-même, l’incarnation de l’Autre barré.
Sans cette reconnaissance, parce que le Moi de la mère se sent suffisant ou parce que les parties inconscientes du Moi maternel ne permettent pas l’introduction de l’Autre barré qui produit de la castration, le Moi de l’enfant se passera du signifiant du Nom-du-Père.
Avec l’alignement de la perte d’un objet précieux actuel – reflet de l’objet perdu à jamais, l’objet a – ; avec le chaînon manquant nommé Nom-du-Père ; avec le manque du véritable objet a (le rien), le Moi donnera à voir au clinicien le témoignage du déclenchement de la psychose. Si ce déclenchement se passe avant le début de la psychothérapie, le clinicien mettra en place les techniques et la méthode propre à la psychanalyse pour que, du Moi psychotique, puisse naître un sujet de structure psychotique apte à construire son existence. Si ce déclenchement se passe pendant la cure, le clinicien doit examiner s’il avait commis des fautes techniques dans la conduite de la cure. Sinon, il s’agit du choix de l’être d’éviter la castration. Et cela à tout prix.