Fernando de Amorim
Paris, le 2 juin 2023
« Il était une fois un petit oiseau qui est tombé de son nid car il pensait être déjà prêt à voler. Que nenni. Furieux, il dégoise au sol des injures sans fin. Une vache entend le petit oiseau et voit qu’un chat dans les parages l’avait entendu aussi. La vache voyant le danger que courait l’oisillon se précipite et lui chie dessus. Le petit oiseau sort de la bouse, insultant la vache, lui demandant des comptes pour un tel manque de respect. Il n’aura pas le temps de finir sa plainte que le chat – toujours sur ses traces – n’en fit qu’une bouchée. »
Aujourd’hui il est possible de distinguer ce qui est normal de ce qui est pathologique sans se cacher derrière des discours barbares au nom de la religion, de la culture ou des différences sociales.
Le pathologique est ce qui fait souffrir l’être. Quant à la souffrance du Moi, elle concerne – comme la fable en exergue le démontre – la difficulté pour cette instance freudienne reconnaissable par sa compétence à l’aliénation, à différencier celui qui la met dans la merde de celui qui la sort de la merde. La castration est vécue par le Moi comme une expérience déplaisante parce qu’elle met un terme à la jouissance. La castration pour l’être castré est reconnaissance de son plaisir à être sujet.
Le pathologique est ce qui fait souffrir, qu’il s’agisse de soi-même ou de l’autre. Le « soi-même » concerne la relation du Moi et de l’être pris par les injonctions des organisations intramoïques (la résistance du Surmoi et l’Autre non barré). L’« autre » concerne la volonté de vengeance du Moi psychopathe à souiller sa victime – plus faible que lui cela va de soi – par l’accomplissement de ses pulsions agressives, de destruction ou sexuelles, voire les trois ensemble.
Le normal est un état où l’être ne se sent plus en souffrance. Cela est caractéristique des êtres qui sont dans la position de sujet, c’est-à-dire sortis de psychanalyse, ou de sujet barré, c’est-à-dire décidés à construire leur existence à partir de la castration et du désir de transformer ce qu’ils savent en parole, et cette parole en action.
Ces distinctions sont nécessaires pour que le clinicien sache se situer.
Pour quelle raison est-il tellement difficile d’établir des distinctions claires entre ce qui est normal et ce qui est pathologique ? Parce que ceux qui posent l’impossibilité de faire la distinction, ceux qui indiquent la difficulté de la poser ou qui font appel à des discours sociaux, culturels pour justifier leur embarras pour, donc, ne pas se positionner, visent à protéger leur être, à ne pas s’engager avec la responsabilité éthique d’exister castrés. En d’autres termes, ils ne savent pas ce qui est le normal, donc, ils ne tranchent pas. La raison en est que, dans un compromis tacite entre l’être et le Moi, le premier a décidé de ne pas pousser son désir de savoir jusqu’à construire son désir de construire sa propre existence. Cet être ne connait pas l’expression vraie d’un « ça va bien ! » justifiée à partir du moment où l’être a fait un 360° et constate, au moment de conclure que, pour lui, ça va bien ; l’être qui ne connait pas « être bien dans sa peau ! » à l’instant même où il s’examine et qu’il conclut être bien dans sa peau.
Quelqu’un qui un jour a vécu un moment, un instant d’amour, d’apaisement, sait ce qui est normal. Celui qui est dans la disgrâce, dans la terreur, dans la peur, dans la crainte, dans l’angoisse, dans l’anxiété, vit dans le pathologique.
C’est ce dernier moment qui pousse les êtres à embarquer en psychanalyse.
Quand l’être sort de psychanalyse, dans la position de sujet, il est devenu un être normal – l’autre nom du sujet. Quand il s’engage à continuer à être normal, il s’engage à se castrer lui-même, il est donc dans la position de sujet barré. Quand quelqu’un quitte la psychanalyse et n’a pas eu un tel état, il n’y a pas eu de psychanalyse. Ceux qui continuent en psychanalyse pour supporter d’être en vie expérimentent une amélioration de leur état pathologique, en d’autres termes, la vie est moins pire que sans la psychanalyse.
La psychanalyse n’est pas une panacée, c’est la construction d’une existence possible ou d’une vie vivable pour le commun des mortels.
La psychanalyse est le nom d’une embarcation que l’être décide de prendre pour naviguer, tels les premiers marins hauturiers, sur un océan jamais sillonné. Cet univers aquatique, unique et intime qui habite l’être, Freud l’avait appelé inconscient.
Le normal existe. C’est un état passager où l’être constate que l’apaisement prend son corps, que son esprit est en paix, qu’il est disponible pour le travail, pour l’amour, pour l’amitié. Mais pour savoir ce qu’est le normal, il faut se rappeler du pathologique. Le pathologique c’était l’être à la merci de ses propres organisations intramoïques ou de celles d’un autre ; un autre, mon semblable dans la position de majeur, qui ne pouvait pas assurer la tranquillité de l’être, qui ne pouvait pas non plus assurer sa sécurité. Le normal est directement associé à l’autonomie, le pathologique à l’isolement.
Pour conclure, quand le psychanalyste dans la position du grand Autre barré prime blesse le Moi avec la castration et que ce dernier interprète que le psychanalyste ne l’aimait pas, voire le haïssait, il se trompe, comme à son habitude. Pour affirmer cela, il faut partir du principe que le psychanalyste est toujours en psychanalyse.
Le psychanalyste ne veut pas du mal au Moi. Sa fonction est de le dégonfler pour que l’être puisse prendre son courage à deux mains et se mettre au travail de construire son existence en s’accrochant à l’Autre barré.
Quand quelqu’un bien intentionné dit que le normal et le pathologique n’existent pas, il ne veut pas nécessairement le bien de son interlocuteur, simplement – et c’est l’interprétation de l’auteur de ces lignes, il n’est pas capable de désirer son propre bien.