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J’ai appelé ma mère hier

J’ai appelé ma mère hier

Fernando de Amorim
Paris, le 30 juin 2023

Pour S. A.
 

Pendant que les jeunes mineurs en France brûlent des écoles, détruisent les moyens de transport pour les travailleurs du lendemain, un député n’appelle pas au calme, un autre veut la fin du décret Cazeneuve ; des footballeurs se mêlent de la res publica avec les moyens de leurs bords, pour eux les bons – à savoir, leurs pieds ; d’autres qui n’habitent plus en France sensibilisent les politiciens à faire des appels au calme. Mais qui prend en charge les jeunes vivants, en commençant par les éduquer ?

Mollesse dans la conviction de la défense de la République, lâcheté dans les arguments, affectations larmoyantes et peines de façade. Hypocrites.

L’unique courage vient d’une femme, toujours une femme. Inconnue comme seul un être féminin sait l’être dans ce qu’elle a de plus mystérieux. Et pourtant tout repose sur ses épaules : la comptabilité domestique, le soin des enfants, supporter l’aliéné qui n’en fait qu’à sa tête car  homme (ou devrais-je écrire ôme ?). Que des mecs pour dire des conneries sur le cadavre encore fumant.

L’unique classe vient d’une femme, d’une dame : elle seule contre les barbares, sans se poster en adversaire, puisque j’ai bien entendu, dans la vidéo elle dit : « Les jeunes s’il vous plaît, pas l’école, ne touchez pas à l’école », ou quelque chose du genre, en allant de manière décidée vers les brutes. Sans animosité mais décidée. Il n’y a pas une once de lâcheté dans sa démarche. Elle va vers le feu, l’ignorance, armée de son désir de défendre ce lieu sacré.

Qui est-ce cette héroïne, mon héroïne, ma chérie, mon amour ? Elle se distingue par sa bravoure de ces faux adultes qui s’émeuvent petitement face à la populace intramoïque. La modicité de leur discours a déchaîné chez les jeunes adultes qui me côtoient un élan légitime. Ils sont inquiets pour la France parce qu’il n’y en a pas un, à part une, qui a le courage de tenir tête, avec respect mais fermeté, au sac de pulsions déchaînées qu’est le corps envieux.

Qu’elle m’autorise à m’aligner à ses côtés pour cette bataille contre la stupidité. Mais avant, qu’elle essuie mes larmes, qu’elle apaise ma haine car, à mon tour, j’ai envie de laisser éclater, tel un sauvage, une brute qui a la volonté d’oublier la loi, les règles, éclater ma haine de ces animaux qui touchent à ce à quoi, envieux, ils n’ont pas le courage d’accéder. Pour quelle raison ? Parce que les adultes ne sont pas au rendez-vous.

Les adultes ne sont pas au rendez-vous : du sommet de l’État au quartier modeste, pas l’ombre d’un adulte. À part l’amazone solitaire et impavide.

Ces sauvageons cherchent une autorité, une police, pas un policier, accablé par son geste, une Loi et non un juge compatissant, une entité qui vienne les arrêter, ils cherchent la limite, le tir, la fin de leur détresse d’être en vie sans avenir car un avenir pour un mineur se fait avec un parent adulte et non avec un géniteur majeur.

C’est bien beau d’écrire quelques mots pour accabler la police quand il s’agit d’un policier, dénigrer l’école quand il s’agit d’un professeur, culpabiliser les parents quand il s’agit des organisations intramoïques, évoquer l’être quand il s’agit du Moi. Personne au chevet de la France, aucun parent pour attraper le mineur, pour le tirer par les cheveux jusqu’à la maison. Humiliation suprême pour le Moi aliéné.

J’avais appelé ma mère hier.

Selon les règles statistiques, je suis dans la catégorie vieux. J’avais appelé ma mère : « Je vous appelle pour vous dire “merci !” » Ensuite, je lui avais rappelé que quand j’avais 14 ans, j’avais voulu avec des amis, des aliénés comme moi, me confronter à la police. Tout à coup, je suis giflé par derrière. Je me retourne, furieux. C’était ma mère. Elle m’en donne une deuxième, me tire les cheveux jusqu’à la maison, devant tout le monde tout en disant doucement avec une haine contenue dans mon oreille : « Je t’avais mis au monde, j’ai le droit de te taper, moi et personne d’autre. Je préfère que ce soit moi plutôt que la police ! ».

Je passai des années, jusqu’au milieu de ma psychanalyse, à la détester profondément.
Hier je l’avais appelée pour lui rappeler la gifle et la remercier de cette preuve d’amour.