Fernando de Amorim
Paris, le 25 octobre 2023
Un progrès ne s’arrête pas. Les êtres meurent avant. La psychanalyse ne vise pas le progrès de l’être devenu sujet, mais que ce dernier puisse ralentir la puissance qui l’habite à la Todestrieb. En évoquant la Durcharbeitung, Freud laisse comme possibilité pour le sujet de faire usage de la résistance du Ça pour ralentir cette détermination furieuse qui est la sienne de mettre un terme – voilé ou évident – à sa vie biologique.
La souffrance de l’être au début de sa psychanalyse n’est pas la même à la sortie. Si ce devait être le cas preuve serait faite que celui ayant la responsabilité de conduire la psychanalyse n’était pas au rendez-vous. Certes, il est nécessaire d’examiner les symptômes d’entrée pour que l’être détermine qu’ils ne sont plus à la sortie. En d’autres termes, la libido qui nourrissait le symptôme à l’entrée de la cure est utilisée par l’être, devenu sujet, pour construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée. Comme la libido ne se divise pas (c’est un continuum), c’est que le sujet a choisi d’investir sa libido dans sa destinée et non dans son symptôme. Sans ce choix-là, bien précis – je répète –, la psychanalyse sera considérée comme un échec et la faute en reviendra à l’analyste. Cela va de soi. J’ai défendu cette hypothèse à la faculté de médecine de Bobigny dans les années 90 au moment d’un colloque. Mon regretté Marcel Czermak, ainsi que Claude Smadja n’étaient pas d’accord. Je n’ai pourtant pas changé d’opinion jusqu’à présent, car c’est après examen, et si le clinicien est innocenté, qu’il sera possible de se tourner vers le psychanalysant pour examiner sa résistance à devenir sujet.
Un smartphone n’est pas la preuve de la vitalité de la science. Cet objet est un arte factum, un artifice de la science technologique. La science vit pour et par des scientifiques, non pour des consommateurs.
Il me semble évident que le Moi du scientifique est dépassé aujourd’hui. D’ailleurs, le Moi est toujours dépassé par ses organisations intramoïques. La compétition acharnée pour faire vivre son expérience empêche le scientifique d’être fidèle à son désir de savoir. Des pays comme la Chine, les États-Unis, la Russie, n’ont pas une tradition de liberté de recherche ni de liberté de l’être. Le Moi du scientifique dans quelques pays se trouve dans une position de mendiant, de solliciteur de subventions et même d’extorqueur, preuves en sont les résultats des recherches travestis pour le gonflement du Moi du chercheur, sans oublier des revues dites scientifiques qui, pour vendre, publient ce qui va dans le sens du discours sociétal.
Quid de la psychanalyse ? Des écoles de psychanalyse qui vivent totalement ou en grande partie de subventions de l’État peuvent-elles avoir l’autorité pour critiquer la manière dont celui-ci privilégie l’industrie pharmaceutique, la pratique psychiatrique du médicament et le refus catégorique de la psychothérapie et de la psychanalyse pour les malades de médecine, psychiatrie et chirurgie, le traitement de la folie ou la manière dont est traité le personnel soignant ?
Dans les années 90, une collègue (aujourd’hui elle est enseignante et, cela va de soi, psychanalyste) avait voulu que j’accepte que la Revue de psychanalyse et clinique médicale soit publiée « partout dans le monde » – c’étaient ses mots à elle – en laissant la quatrième de couverture dans les mains d’un laboratoire pharmaceutique pour que ce dernier puisse faire sa publicité des nouveaux médicaments. La réponse a été non. Elle n’est plus ma copine, mais la RPCM est toujours libre de dire ce que pensent les psychanalystes. D’ailleurs, le prochain numéro sera publié dans la maison d’édition du RPH (Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital – École de psychanalyse). Toujours sans subside de « papa-l’État » et « maman-l’AP-HP », juste le désir des membres de l’École. Le RPH est une école de psychanalyse. J’enseigne ce qui ne m’a pas été enseigné, je transmets ce qui ne m’a pas été transmis. Les fonctionnaires de la psychanalyse, à la faculté notamment, assurent que le RPH n’est pas une école de psychanalyse. Ils doivent avoir probablement raison puisqu’ils savent ce qu’ils disent, étayés que sont leurs discours sur des arguments scientifiques. Cela va de soi.
Quand une école de psychanalyse accepte de l’argent public, elle n’a plus le droit de mettre en place le dispositif qui est le mien, à savoir, que la consultation pourra être gratuite. C’est le « pourra être » qui avait interpelé des collègues chirurgiens – j’ai appris cela récemment – au moment de notre journée « psychanalyse et chirurgie ». Ce dispositif vise à accueillir le pauvre car il est difficile de trouver un travail quand « ça ne va pas psychiquement », selon la phrase d’un patient. Dès qu’il trouve un travail, il paye ses séances. Cette logique existe depuis 1981 dans ma consultation et maintenant chez les cliniciens du RPH. Il s’agit d’une tradition hippocratique, freudienne, lacanienne que je tâche de suivre puisque c’est une bonne stratégie – à condition de savoir s’en servir.
Pour savoir s’en servir, il ne faut pas partir du principe que le désir a une place. Le désir est une position, de là sa condition éphémère. En revanche, en s’accrochant au désir, qui est toujours désir de l’Autre non barré (A), l’être pourra construire le sien, à partir du désir de l’Autre barré (Ⱥ). Mais cela ne donnera jamais une place ; en revanche cela ouvrira la voie à la construction de la position de sujet et la construction de la responsabilité de conduire aussi sa destinée.