Fernando de Amorim
Paris, le 31 octobre 2023
La psychanalyse est incomplète. Elle ne peut pas répondre à la clinique de l’organisme malade. Elle est capable de répondre à la clinique du corps et du psychisme parce que ces deux registres sont en lien direct avec le désir, à savoir : le manque, la libido articulée au signifiant. Chez le malade organique cette articulation est rompue.
Cela ne m’a pas empêché de proposer une greffe transférentielle que j’avais appelée la clinique du partenariat et la cônification du transfert. La visée est que le psychanalyste, dans la position de psychothérapeute, aille faire naître, installer et nourrir le transfert en institution en se déplaçant au chevet du malade, comme le médecin hippocratique.
Une fois que le malade est guéri médicalement, le psychanalyste l’invite à continuer la psychothérapie en consultation à l’extérieur puisque pendant que l’être malade était soigné par le médecin le psychanalyste nourrissait le transfert.
Ce n’est pas parce qu’une théorie est incomplète qu’elle doit abandonner les possibilités opératoires qui se présentent à elle. C’est grâce au traitement chimico-chirurgical et au transfert que l’organisme peut devenir corps. Cette opération ne peut se faire qu’à l’aide de l’être. Il doit se désolidariser du Moi donc perdre, vivre le manque, l’objet rien, pour aller vers l’Autre barré, se nourrir de signifiants (Symbolique) et non des illusions et croyances (Imaginaire), ce qu’il faisait jusqu’à présent en s’engageant corps et âme avec le Moi.
Une telle opération ne peut se faire qu’avec un psychanalyste ayant une solide connaissance de la théorie freudienne et de la théorie lacanienne. Évoquer des arrangements théoriques au nom de la psychanalyse revient à continuer à ramer dans l’océan Inconscient avec un manche à balai. Je prends appui ici, pour critique, sur la nomination psychanalyste junguien. Quelle absurdité. L’association du signifiant psychanalyste avec junguien est une manière de donner à la psychanalyse une responsabilité clinique qui ne lui appartient pas. Historiquement, Jung a quitté la psychanalyse freudienne, et il a ensuite créé la psychologie analytique. Les adeptes de ses interprétations imaginaires se disent psychanalyste parce que ce signifiant, à juste titre, a toujours un poids social d’autorité clinique non négligeable. L’appropriation du signifiant psychanalyste par des non-psychanalystes est un exercice illégal de la psychanalyse. Méritent-ils des procès ? Bien sûr que non. Ils se trompent et ils trompent ceux qui les payent.
Pour munir la psychanalyse d’éléments scientifiques, il faut d’abord que l’analyste devienne psychanalyste. Pour cela, il doit, dans un premier temps, traverser sa passe, celle qui est utilisée au RPH et qui trouve sa source dans la proposition de Lacan. Une fois reconnu psychanalyste d’une psychanalyse il deviendra psychanalyste. Mais cela n’est pas suffisant. Dans un deuxième temps, il se doit de sortir de sa propre psychanalyse, et ainsi devenir sujet (s). Dans cette position, il se doit de construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée. Dans un troisième temps, il continue sa psychanalyse pour ainsi construire son existence dans une position féminine, position radicale de castration.
Comment prendre au sérieux ce qui n’est pas scientifique ? Cette question qui s’appuie sur la dérobade lacanienne – « la psychanalyse est à prendre au sérieux, bien que ça ne soit pas une science » – vise d’abord à signaler ce qu’est une science. Il s’agit d’une aptitude, une habilité acquise dans un domaine. En ce sens, il est impossible pour un être humain de devenir scientifique. La science est donc un exercice, un effort de l’être visant à honorer le champ qu’il a choisi pour consacrer son temps et sa position à construire des réponses aux énigmes qui se présentent à lui. Dévoiler les secrets du Réel pour un physicien, les secrets de la vie pour un biologiste et les secrets de l’Inconscient pour un psychanalyste anime l’être – dans le cas du psychanalyste, immensément. C’est la science pour elle-même, pour le désir de savoir et pour le plaisir de transmettre.
Freud et Lacan ont montré, jusqu’au bout de leur dernier souffle, qu’ils étaient pris dans cette danse délicieuse du désir. Il faut cependant mettre en évidence deux types de désir : le désir qui pousse l’être à savoir pour lui et le désir de produire connaissance pour l’autre. Freud pour des raisons propres au début de la psychanalyse, Lacan pour des raisons qui lui sont propres (je fais référence à son abandon de sa psychanalyse) ont été pris par le désir de produire des connaissances pour l’autre. Ma proposition est que l’être s’engage d’abord à savoir sur son désir le temps qu’il commence sa vie professionnelle et qu’il puisse produire connaissance et donc science, psychanalytique, comme preuve de son désir de payer une dette symbolique à la psychanalyse. Que serait Freud sans la psychanalyse ? Un neurologue de plus. Et Lacan ? Un psychiatre parmi tant d’autres.
Les universitaires sont dans une logique de répéter les textes. Ils enseignent, ils ne transmettent pas. Inévitablement cette connaissance enseignée sera caduque car leur enseignement n’est pas oxygéné d’un savoir, fruit des expériences actuelles.
Il faut mettre en évidence que la science s’oppose à la croyance religieuse. Pas de négociation là-dessus non plus. Pas de psychanalyste junguien ou adlérien ni de prêtre-psychanalyste, d’analyste voilée, ni cet arrangement à deux : psychiatre et psychanalyste. Ou tu es psychanalyste ou tu ne l’es pas. Choisis ta route avec ton beau désir que tu voiles ou descend du bateau.
La psychanalyse est réfutable scientifiquement et réfutée à chaque séance. Il faut prendre en compte la résistance, les trois résistances du Moi : envers le savoir sur le désir de l’Autre non barré qui l’habite, envers l’autre qui l’accueille, envers le corps qui l’abrite ; résistance du Surmoi envers le Moi, résistance du Ça envers la mort biologique. Popper se trompe épistémologiquement, comme Lacan d’ailleurs lorsqu’il s’aligne sur les arguments du philosophe viennois.
La psychanalyse prend en compte le critère de réfutabilité. Il est possible de prédire que le Moi résistera à se faire dégonfler, devenir « ä » de la même manière que l’être résistera à se faire barrer, à devenir « ɇ ». Je mets en évidence que, pour les deux – à savoir, le Moi et l’être –, il s’agit de la mise en place de la castration effectuée par l’Autre barré (Ⱥ).
Il me faut maintenant mettre en évidence la distinction entre le Moi et l’être. Le Moi résiste, l’être se cache. Cliniquement, la position du psychanalyste consiste à se taire. S’il parle c’est pour valider l’interprétation qui sort de la bouche du psychanalysant dans la position d’être. Parfois, il est appelé à intervenir. Quand il intervient, c’est pour mettre en évidence la castration qui rectifie la route de la cure ou la propulse vers l’avant. Le Moi ne veut pas de la castration car elle signifie pour lui la perte d’un pouvoir imaginaire. Pour éviter la relation imaginaire, mise en évidence par Lacan, je fais l’intervention clinique et j’attends confirmation. Le Moi du psychanalysant affirme que ce que j’affirme est faux. Je lui signale que, s’il n’est pas d’accord, je retire mon intervention. En faisant cela, le Moi cède parfois dans la séance même, parfois trois semaines plus tard. Cela dépend du niveau de collage entre l’être et le Moi. Le Moi est une instance, c’est un dispositif mis en place par l’être pour ne pas assumer ses responsabilités. Quand la castration commence à produire des effets, l’être se désengage de plus en plus de la relation imaginaire qu’il a avec le Moi pour s’engager avec l’Autre barré. Ici le symptôme commence à devenir importun pour l’être. Le psychanalyste doit continuer l’opération de castration jusqu’à la séparation de l’être et du Moi. Ce dernier vivra mais comme instance freudienne et non comme entité décideuse.
Quand l’analyste ne sait pas ce qu’il doit faire au moment de la première rencontre avec un être, qu’avec l’appui de son superviseur, il donne des livres au psychanalysant pour qu’il les lise, j’ai la preuve qu’ils ne savent pas où se trouve le Nord clinique. En d’autres termes, ni l’un ni l’autre ne sait conduire une cure, ils s’accrochent à des croyances sur ce que doit être une analyse, sans pour autant apporter la preuve qui pourrait justifier leurs salaires respectifs.
Le Réel comme étant le symptôme de Lacan ne présente pas le Réel dans la psychanalyse. Ce genre d’adoration est nuisible pour le projet freudien d’une psychanalyse scientifique. Mon hypothèse est que la métapsychologie freudienne est une réponse à la métaphysique aristotélicienne.
L’adoration est un substitut phallique de l’analyste pour ne pas reconnaître qu’il n’est pas en psychanalyse – y est-il même entré un jour ? – et que, de croyance en croyance, il ne fait que nourrir son Moi, sans passer par la responsabilité qui est la sienne d’assurer des psychanalyses dignes de ce nom.