Fernando de Amorim
Paris, le 29 mai 2024
La proposition de la Cour des comptes de ne plus indemniser les arrêts maladie de moins de huit jours va dans le sens qu’indique la distinction que j’ai établie entre symptôme corporel et maladie organique[1].
Un symptôme corporel n’exige pas un arrêt maladie, à la condition cependant qu’un médecin responsable ne cède pas à la demande d’arrêter qui vient du Moi et s’il se limite à répondre aux demandes justifiées, c’est-à-dire celles qui viennent de l’être ou de l’organisme. Dans la maladie organique, le signifiant n’a pas droit de cité.
Un symptôme corporel est l’expression de la souffrance dans le corps. Cette souffrance indique au Moi l’urgence de l’écouter. Quand le Moi n’écoute pas le corps, la libido qui nourrit le symptôme corporel glisse du côté de l’organisme sous forme d’embolie ou de lésion organique.
Précédemment, j’avais évoqué le médecin responsable. J’entends par là un médecin qui, tout en examinant le patient, prend en compte sa responsabilité clinique de maintenir en vie un système de santé qui périclite à cause des abus dans l’octroi des arrêts maladie.
La Covid n’entre pas en ligne de compte ici, puisqu’il s’agit de l’expression du Réel et que le sujet qui ici m’intéresse est uniquement la relation du Moi au Réel et la responsabilité du médecin à distinguer organisme et corps.
Depuis 1991, je signale que notre système de santé gaspille de l’argent parce que la formation des médecins ne compte pas avec les psychanalystes pour mettre en évidence cette vérité première, à savoir que « quand quelqu’un est en psychanalyse il tombe moins malade ». Cette formule est de Serge Cottet, formule qu’il avait, me semble-t-il, créée pour résumer un paragraphe d’un séminaire de Lacan qui a changé ma lecture de la maladie organique. Il y est écrit : « Je voudrais faire remarquer ici un certain côté qu’on ne voit pas de l’analyse, son côté assurance-accident, assurance-maladie ». Plus loin, il dit : « Je pense que les assurances sociales comme les assurances sur la vie devraient tenir compte de la proportion d’analyses dans la population pour modifier leur tarif »[2]. Il faut lire ce paragraphe quand on est dans un service de médecine. Il faut lire la Chanson dans le sang de Prévert quand on est dans un service d’hématologie. Vous n’en sortirez pas indemne.
La lésion signe, pour l’auteur de ces lignes, la maladie organique. Aujourd’hui, j’ajoute l’embolie qui, même sans lésion dans un premier temps, poussera le médecin à un acte lésionnel.
Il faut prendre en compte que, selon Marie‑Cécile Renault pour Le Figaro, « la facture pour la Sécu a augmenté de 4,3 milliards d’euros entre 2017 et 2022, soit 56 % ».
La situation est inquiétante et je ne vise pas ici le corps médical, comme je ne vise pas davantage les patients. Pas de culpabilité dans l’air, mais un appel que j’avais fait, appel formulé et reformulé, dont le premier fut fait auprès de la ministre de la Santé Simone Veil, du Premier ministre Édouard Balladur et du président de la République Jacques Chirac, pour signaler l’importance de créer des consultations publiques de psychanalyse (CPP) sur le modèle de celle de la rue Jean‑Baptiste Pigalle dans le IXe arrondissement de Paris, où les patients payent selon leurs moyens, sont reçus par des jeunes cliniciens. Sans surprise, ces patients tombent moins malades, ont moins d’arrêts maladie, prennent moins de médicaments, visitent moins les urgences médicales et psychiatriques et bien évidemment sont moins hospitalisés.
Ces économies sont possibles, parce qu’il s’agit d’économie libidinale : quand quelqu’un va mal dans sa peau, il est indisposé à travailler, à supporter la vie quotidienne. Avec ce pacte clinique (de venir en séance de psychothérapie et de construire sa responsabilité d’être), ces patients expriment leurs frustrations, leurs haines, en consultation et non en forme de acting‑out ou de passage à l’acte.
Les étudiants et jeunes cliniciens, quant à eux, sont formés à la faculté et forgent leur style grâce à cette rencontre singulière.
Le dérapage des comptes est l’indicateur qu’il faut mettre en place un dispositif pour que la santé mentale soit traitée avant le déclenchement des dispositifs pharmacologiques, médicaux, chirurgicaux.
Sans la décision des pouvoirs politiques, la question sera négligée, comme il est d’usage.
Cette année, le cabinet du Premier ministre Gabriel Attal a répondu à ma énième sollicitation de mise en place d’une consultation publique expérimentale. Dans la lettre, il est signalé que ma demande a été transférée au ministère de l’Enseignement supérieur (facultés de médecine et de psychologie). Je suis en attente. En attendant, rien pour arrêter ce flot du gaspillage qui constitue un véritable fléau pour notre société.
[1] Amorim (de), F. (2008), Tentative d’une clinique psychanalytique avec les malades et les patients de médecine, Paris, RPH Éditions, 2024.
[2] Lacan, J. (1962-63). Le séminaire, Livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, p. 150.