Lettre ouverte à la « nouvelle génération de psychiatres engagés »
Fernando de Amorim
Paris, le 11 octobre 2024
Le titre ainsi que le sous-titre sont inspirés du dossier spécial « santé mentale », publié dans le journal Le Monde du 11 octobre 2024.
D’abord, je ne pense pas que cette nouvelle génération de psychiatres pourra renverser la vapeur de la dégradation de la santé mentale en France sans la nouvelle génération de psychanalystes, celle du RPH – École de psychanalyse.
« Publicité ! » rétorquera le lecteur coquin.
Comme je n’ai rien à vendre, je n’ai pas besoin de faire de la propagande. Les psychanalysants le font depuis la naissance de la psychanalyse, car le problème de la psychanalyse n’est pas constitué par ses adversaires, pas même par ses ennemis, les ennemis du désir castré qui est le désir de construction. Les balanes de la psychanalyse, ce sont ses amis, c’est-à-dire ceux qui la pratiquent, ceux qui l’enseignent, ceux qui la transmettent. Pour nettoyer la coque du bateau que je nomme psychanalyse, je propose un anti-encrassement, un antifouling, comme disent les marins : la psychanalyse sans fin pour le psychanalyste, du moins jusqu’à la fin de son exercice clinique. Mon intention est de protéger la psychanalyse, et surtout le psychanalysant, du Moi du clinicien. Cette logique serait très utile aussi pour les psychiatres.
La raison est évidente : les psychiatres d’aujourd’hui ont été biberonnés au DSM, cette tentative de globaliser à l’américaine la souffrance psychique. L’idée est bonne, mais les résultats sont catastrophiques.
La raison en est simple : le DSM a laissé sur le bas-côté la construction du désir du sujet. Cela fut acté quand ce Manuel a laissé tomber la psychanalyse. Il est vrai que ce qui était proposé comme psychanalyse n’en était pas une.
Il faut concevoir la psychanalyse comme un bateau qui permet à l’être de descendre un fleuve (la psychothérapie) et, si ses conditions psychiques le lui autorisent, d’entrer dans l’océan, en faisant du cabotage (dans le cas de l’analyse) ou de la navigation hauturière (dans le cas d’une psychanalyse proprement dite, l’unique, celle qui se passe sur le divan jusqu’au terminus).
La souffrance de l’être n’est pas une affaire de cerveau. Un cerveau malade concerne le neurologue et non le psychiatre.
Quand j’avais proposé de mettre en place la clinique du partenariat, c’était pour que les spécialités de la médecine (psychiatrie, neurologie, médecine interne, chirurgie…) puissent compter avec le spécialiste du désir, à savoir le psychanalyste, indépendamment du fait qu’il soit dans la position de psychothérapeute ou de supposé-psychanalyste (Cf. Cartographie du RPH).
Aucun psychotrope, aucune technique de dressage du Moi ne pourra résoudre la question de l’être. D’Aristote à Kant, en passant par Pinel et Krafft‑Ebing – j’entends par-là la psychiatrie franco-allemande –, aucun n’a pu proposer une méthode et des techniques pour que l’être, dans la position de malade, de patient et de psychanalysant, puisse occuper la position de sujet, c’est-à-dire construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée (de nouveau, la Cartographie).
En France, c’est aujourd’hui possible grâce à la praxis freudo-lacanienne des membres du RPH.
Il est évident que personne ne veut aller vers la psychiatrie. Un jeune psychanalysant dit : « J’ai envie de faire un travail en vue d’un résultat, sans la possibilité de voir que mes efforts vont produire un effet de satisfaction chez moi et chez le patient, ça [la psychiatrie] ne m’intéresse pas ! » Cette parole est celle d’un jeune qui s’approche du moment de décider de son avenir professionnel.
Il est possible d’être psychiatre et de se sentir participant d’une action qui produit cette satisfaction de « travail bien fait », de « mission accomplie », de « servir à quelque chose » (le même psychanalysant). Cela passe par la clinique du partenariat.
Cette clinique consiste à ce que le psychiatre fasse usage du transfert que lui confie le patient, pour adresser ce dernier au psychanalyste.
À aucun moment le psychanalyste n’ignore la nécessité du psychotrope, de l’hospitalisation, de l’isolement, de la contention. En revanche, il est malheureux pour le patient, au nom d’un refus infondé de la psychothérapie avec psychanalyste, de lui prescrire des médicaments sans la possibilité d’être en psychothérapie avec un psychanalyste car, jusqu’à preuve du contraire, ce dernier est l’unique à savoir conduire une psychothérapie. Le malade, le patient psychiatrique, ne souffre pas de son cerveau… si ce dernier est bien irrigué et jusqu’à preuve du contraire, ça va. Il souffre de son appareil psychique freudo-lacanien, c’est-à-dire de sa libido, de ses pulsions, de ses instances psychiques (Moi, Ça, Surmoi), de ses organisations intramoïques (Autre non barré, résistance du Surmoi). Celui qui sait opérer avec cet appareil, c’est le psychanalyste. Mais seul, comme une hirondelle, il ne fait pas le printemps. D’où la nécessité de la clinique du partenariat.
En affirmant que seul le psychanalyste est apte à assurer des psychothérapies, je n’ignore pas qu’il existe d’autres praticiens qui en assurent aussi. De là ma distinction entre psychothérapie avec psychothérapeute et psychothérapie avec psychanalyste (encore la Cartographie), car seul ce dernier est apte à repérer le moment où le patient est prêt à devenir psychanalysant et peut-être même sujet (toujours la Cartographie).
Cela indépendamment de sa structure psychique, à savoir névrose, psychose, perversion. Ceci est la proposition psychanalytique française : d’abord déterminer la structure pour la conduite de la cure, pour ensuite repérer le diagnostic spécifique pour l’affinage de la navigation. La proposition du DSM est la propagation épidémique des troubles, ce qui a rendu obèse la psychiatrie à un point tel que le clinicien se noie dans la graisse au nom d’une fausse scientificité.
La psychiatrie sans le désir de l’être – surtout de l’être de celui qui l’exerce – devient une branche morte de la médecine.
Pour qu’elle puisse être attractive, porter des feuilles et des fruits, il faut l’irriguer avec le désir, le désir freudo-lacanien des membres du RPH.