Fernando de Amorim
Paris, le 12 janvier 2025
En indiquant la règle fondamentale – « Parlez vos pensées (“dites ce qui vous traverse l’esprit sans censurer !”), votre corps (“les symptômes, gênes, douleurs, maladies ; c’est la partie médicale de la psychothérapie avec un psychanalyste !”), vos rêves (“apportez-les sans les noter préalablement !”) – le psychanalyste énonce la voie aquatique par laquelle la psychothérapie va se dérouler.
Si l’être pose une question au grand Autre, il entre en psychanalyse. S’il est d’accord d’occuper la position de psychanalysant, il s’installera dorénavant sur le divan, prenant ainsi dans ma métaphore aquatique le bateau nommé psychanalyse, ce qui lui permettra de naviguer sur des eaux jamais sillonnées, l’autre nom de l’inconscient.
Le but est que l’être devienne sujet. Le but n’est pas un objectif. Si le but est que l’être rame pour devenir sujet, l’objectif n’est pas qu’il soit heureux, moins névrosé, gagne beaucoup d’argent, se marie avec un homme riche, puisse avoir de beaux enfants…
Le but en psychanalyse concerne la pulsion et le but pulsionnel n’est pas complet, intégral, parfait. De la joie où avant était tristesse, du travail où avant était paresse, des moyens financiers pour mener un quotidien apaisé, réussir à être avec quelqu’un sans que cela soit pénible, occuper la position de sujet dans son rapport avec la progéniture…
Un enfant avait dit à table : « Papa est soigné par le docteur de Amorim. Maman aussi. Maman a besoin de plus de soin que papa. Le docteur de Amorim va voir un monsieur aussi. C’est à l’infini. » Pendant que les analystes refusent que la psychanalyse du psychanalyste soit sans fin, selon ma proposition freudienne, et que les psychanalystes du RPH – École de psychanalyse se fâchent parce que je chatouille leur Moi, un gamin explique la bande de Moebius aux psychanalystes. Une psychanalyse n’est pas parfaite – comme la médecine ou l’éducation. Elle ne sera jamais parfaite, parce que l’humain est soumis à la Trieb et non à l’Instinkt. L’instinct chez Freud désigne le comportement animal, héréditaire. Quant à la pulsion, elle ne s’accomplit jamais, n’en déplaise au Moi.
La psychanalyse n’offre pas grand-chose, puisqu’elle n’a pas grande chose à offrir. Elle construit le désir et ce dernier est manque. En revanche, dans un premier temps, elle montre à l’être qu’il est structurellement lâche et qu’il est conduit par le bout du nez par son Moi, qui est structurellement aliéné. Dans un deuxième temps, elle lui montre qu’il est responsable de construire sa subjectivité – l’autre nom de la psychanalyse – et ensuite de construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.
À chaque scansion pendant la séance et à chaque suspension de séance, soutenue ou non par la scansion, le clinicien engage l’être à devenir sujet.
Quelques-uns ne sont pas prêts pour cela, dira-t-on.
Personne n’est prêt pour cela, telle est ma réponse.
Cependant, l’éthique de l’être humain est de devenir sujet. C’est d’ailleurs ce qui justifie son séjour sur terre. Hors de ce registre, il survit, vivote, vit. Tel n’importe quel autre mammifère, en somme.
Le psychanalyste ne dérange pas l’être. Il se doit de déranger le Moi. Sans bousculade du Moi et de ses identifications imaginaires, sans bascule de l’être de la position de psychanalysant à sujet, pas de psychanalyse.
La psychanalyse n’est certes pas pour tout le monde, mais pas pour les raisons évoquées. La psychanalyse est pour l’être qui désire devenir sujet. Cette bascule de l’être va de la position de malade à patient, de patient à psychanalysant, de psychanalysant à sujet, de sujet à psychanalyste. Pour s’engager dans une telle voie, l’être doit témoigner d’un profond mécontentement de la place qu’il occupe biologiquement jusqu’à présent. Sans cette guerre intestine au sein de l’appareil psychique, pas de psychanalyse.
Une psychanalyse, ce n’est pas un sacrifice, c’est un effort. L’avantage est qu’une fois que l’être prend le goût de l’effort (comme la paresse pour le Moi), cela devient une manière d’être. La psychanalyse n’explique pas. C’est l’être dans la position de psychanalysant, ou de sujet, qui interprète.