Fernando de Amorim
Paris, le 4 avril 2025
Le dicton dit : « Faute avouée est à moitié pardonnée ! » Ici, il n’est question ni de faute ni de pardon, mais d’une formation clinique qui laisse à désirer, d’une formation universitaire – de psychologie, de psychiatrie – inapte à la clinique humaine.
Le psychiatre affirme en supervision que le patient a « une tendance au suicide ».
Je ne partage pas cette affirmation, car personne n’a de « tendance au suicide ». La tendance est un signalement de détresse, un appel maladroit d’aide, preuve de la haine du Moi (a), envers l’autre (a’). Comment construire une relation d’amour quand, selon le même patient : « Mon père ne m’a rien laissé entrevoir. Avec lui, c’était le néant. Il était un homme sans affection envers moi. Pas de sentiment d’affection ni de protection. » ? Je vois ce monsieur en tant qu’homme, non en tant que père.
Le patient du psychiatre en supervision se perce la peau, partout. « Il est déjà arrivé chez moi tout perforé », dit le praticien.
La séance suivante, le même patient, selon le psychiatre qui assure la psychothérapie, associe perforer la peau à son père : « Perforer, dit-il, c’est traverser en pratiquant un ou plusieurs trous, puis il y a “père” et “forer”. Sur mon père, rien à dire ; sur forer, cela veut dire “percer au moyen d’un foret”, une sorte de masse dure. Mais cela peut être aussi être “perdu dans la forêt”. »
Le psychiatre me signale que la peur d’être abandonné a poussé le patient à partir à l’étranger.
La question du psychiatre est la suivante : comment faire dans ce cas ?
Dans la position de psychiatre, il n’y a rien à faire. Si le psychiatre se décide à commencer une psychanalyse personnelle, à se former à la psychanalyse, à abandonner la position de psychiatre et à apprendre à écouter, il pourra savoir quoi faire face à la détresse de l’autre.
Ce matin, à l’angle des rues Lentonnet et Condorcet, un enfant noir se dirige vers son école. Je remarque que ses lacets sont défaits et, en le dépassant, je le lui signale. Comme il ne s’arrête pas pour les faire, je lui pose la question :
— Savez-vous faire vos lacets ?
— Non, murmure-t-il.
— Souhaitez-vous que je les fasse pour vous ?
Il opine du chef.
J’ai fait ses lacets. En retour, pas un merci.
Je poursuivis ma route.
Plus tard, une autre demande de supervision : la clinicienne pleure, car elle ne peut rien faire pour la petite fille qui lui a rendu visite hier et dont « sa mère ne tient pas à elle de toute évidence ! », dit-elle.
La misère affective est une maladie qui ne se repère pas au scanner ; il est impossible de la détecter quand le clinicien prend le pouls. Il n’y a pas de psychotrope, pas de cocaïne, qui pourra soigner la négligence des majeurs envers les enfants.
La psychanalyse existe encore grâce aux malades, aux patients, aux psychanalysants. Les psychologues ont mis de l’eau dans l’essence de la psychanalyse en la transformant en psychologie analytique. Les psychiatres se sont travestis en analystes et gagnent un peu de pognon (il faut bien arrondir ses fins de mois), tantôt en prescrivant un peu d’anxiolytiques, tantôt en faisant quelques feuilles de séances de psychothérapie ou d’analyse remboursées par les contribuables. Quant aux analystes, ils ont abandonné la psychanalyse, la transformant en une répétition momifiée des dires de Freud et de Lacan.
La clinicienne qui m’avait appelé ce matin a trouvé chez le superviseur la possibilité de parler sa révolte humaine envers ces majeurs qui jettent des enfants au monde et qui ne s’arrêtent pas un instant, au nom de l’amour, de l’éducation et de la civilisation, pour enseigner à dire bonjour, à dire merci (une sorte de reconnaissance de l’autre, son compatriote humain), à lacer ses chaussures, histoire de le faire devenir un adulte, peut-être même un sujet apte à construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.
La majorité des praticiens de santé, de santé mentale, portent leurs souffrances à leurs consultations. En fin de compte, ils finissent par les mélanger à celles de ceux qu’ils sont censés écouter.