À part entière
Fernando de Amorim
Paris, le 19 octobre 2020
La psychanalyse a déjà été traitée de pseudoscience par ses charmants détracteurs, sans que ceux-ci puissent faire la moindre preuve de leurs affirmations car, s’appuyer sur des méthodes propres à la physique ou faire référence à des épistémologues qui arrivent après la bataille clinique pour juger la science de Freud ce n’est pas faire preuve de la non-scientificité de la psychanalyse. Ce ne sont que ragots et allégations !
En revanche, lorsque des personnes veulent améliorer la santé des patients avec du sucre, soigner le cancer avec des vitamines ou des cardiopathies avec l’homéopathie (Le Figaro du 19 octobre 2020), le débat sur la scientificité passe dans un autre registre.
La psychanalyse n’a jamais exclu la collaboration avec la médecine en général, ou la psychiatrie en particulier. Mais il faut faire une distinction de taille : le traitement médicamenteux n’est pas suffisant pour traiter la souffrance psychique de l’être. Le traitement psychopharmacologique est une camisole de force chimique, contre l’anxiété, l’angoisse, les délires, les hallucinations. La psychopharmacologie ne soigne pas, elle contient. Et une telle contention est préférable à laisser les malades hurler dans les hôpitaux psychiatriques à longueur de journée, comme c’était le cas avant la découverte des neuroleptiques par Henri Laborit, ce qui, incontestablement, a révolutionné la psychiatrie. Grâce à la camisole de force chimique, des malades se suicident moins, mais la souffrance d’être est toujours là. D’où l’importance du traitement psychothérapeutique proposé par les psychanalystes, les seuls cliniciens habilités à assurer des psychanalystes et des psychothérapies. Si cette dernière remarque peut froisser les plus sensibles, il me faut clarifier mes propos : la psychothérapie est l’antichambre d’une psychanalyse. Dans la première, le Moi cherche à ne plus souffrir, dans la seconde, l’être veut savoir sur l’origine de ses souffrances.
Dans la voie psychanalytique construite par Freud, la psychanalyse, affinée par Lacan, le traitement possible de la psychose et les séances lacaniennes, sont autant de boussoles pour la médecine et son exigence légitime de rigueur.
Freud a mis sur pieds la psychanalyse à une époque où un seul homme pouvait bâtir une science ; Lacan avait poussé ses élèves à ne pas s’esquiver de la rencontre clinique avec le psychotique ; j’ajouterai : la mise en place des séances lacaniennes, comme je les appelle en hommage à Lacan car, en cassant la logique de la montre et en introduisant la logique du signifiant dans la durée de la cure, Lacan a résolu un problème qui a empêché les premiers psychanalystes de proposer la psychanalyse aux plus démunis, problème auquel était confronté Freud.
Il est dans la tradition hippocratique de porter assistance aux compatriotes dans le besoin de soin et dépourvus d’argent. Freud, comme Lacan, ayant reçu une formation médicale, n’ont pas oublié cette requête. Les psychanalystes, enfants de la tradition médicale, ne se dérobent pas à cette règle médicale.
La médecine a voulu, dans son histoire, s’occuper de l’homme dans son intégralité, à savoir, psychique, corporelle, organique, familiale, sociale. La médecine peut vouloir cela en théorie, mais dans la pratique les médecins n’ont pas les bras assez longs pour embrasser autant de domaines de complexité infinie. De là, la porte ouverte pour ce que l’article cité ci-dessus appelle les charlatans et les gourous. Sans le savoir, ces personnes, et sans aucun doute de manière irresponsable et illégale, voire criminelle, indiquent que la médecine ne peut pas tout faire.
C’est pour cette raison que j’avais indiqué que le champ de la médecine est l’organisme malade. Le psychanalyste quant à lui, s’occupe du champ psychique et corporel. Et quand le psychanalyste utilise la technique de l’écarteur et que cette dernière, pour d’innombrables raisons, ne répond pas à l’apaisement psychique attendu, le clinicien, ou le patient font appel au psychiatre pour contenir chimiquement la puissance pulsionnelle des organisations intramoïques qui se déchainent sur le Moi, le poussant à l’inhibition, au passage à l’acte.
Cette clinique du partenariat entre médecins et psychanalystes, prouve qu’ils peuvent opérer ensemble, au service des patients. Mais pour cela, il faut que la psychanalyse soit reconnue à sa juste valeur, à savoir une science à part entière.