Fernando de Amorim
Paris, le 2 novembre 2023
Pour Mme le Dr L. M.
I- L’efficacité de la psychanalyse doit être examinée par des preuves. Affirmer de manière péremptoire son inefficacité ou son efficacité ne peut qu’illustrer une adoration aveugle ou un fanatisme sans bornes.
Après avoir goûté le fruit, je peux dire qu’il est délicieux ou non. Je goûtais la psychanalyse. La route était obscure, douloureuse, énigmatique. À la sortie de ma cure, je me suis découvert apte à construire.
Je me revois enfant. Je trouvais que ma famille, après le décès de mon grand-père, partait en vrille d’une manière stupéfiante.
À 19 ans, me semble-t-il, je rencontre la psychanalyse.
Ma mère, apprenant que j’avais pris rendez-vous et me voyant très agité, me dît : « Mon chéri, ne va pas voir cet homme [le psychanalyste] ! », j’ai su immédiatement qu’il fallait aller voir cet homme, au galop même. D’ailleurs, j’ai rêvé de lui aujourd’hui, et du Professeur Prado de Oliveira et du Professeur Sophie de Mijolla, qu’il me soit ici permis de les remercier pour l’appui qu’ils m’ont apporté au cours de ma vie universitaire. Je répète : qu’ils soient ici chaleureusement remerciés.
Le critère pour mesurer l’efficacité de ma psychanalyse est ce qui a changé chez moi entre hier (avant ma psychanalyse) et aujourd’hui (après ma psychanalyse) :
Hier, j’étais en colère, triste, perdu. Une bête féroce, sauvage. Je faisais fi de l’éducation que tous les adultes, avec une très grande bienveillance, voulaient m’apporter : ma mère, mes grands-parents, mon père, Monseigneur G., le colonel C., le docteur H.
Rien à faire. J’étais une brute épaisse et silencieuse. Je n’agressais personne, mais je n’en faisais qu’à ma tête, au nom d’une détresse que je ne maîtrisais pas, ne comprenais pas. Pas d’angoisse, pas de symptôme corporel ou organique, mais de la haine silencieuse que j’avais transformée en silence ou en verbe assassin, en étude acharnée ou en vie sexuelle très remplie, remplie sans amour. J’avais aussi beaucoup de mal à me lever le matin.
Aujourd’hui, à la sortie de psychanalyse donc, je me sens responsable d’être dans la vie.
Quelle est la première chose que j’ai faite à la sortie de ma psychanalyse ? Je me suis éloigné de ma famille. Une fois cette chose faite, je me suis laissé aller au rythme de la danse mystérieuse de la vie et des rencontres féminines, l’unique rencontre qui a toujours réveillé ma plus grande attention. Rien de plus merveilleux que le corps d’un être féminin. Aujourd’hui, je n’ai plus d’angoisse, d’agitation, de peur, seul un désir décidé de construire « ma vie » comme je disais à l’époque, de « construire ma responsabilité de conduire aussi ma destinée », comme je dis aujourd’hui. Le « aussi » veut dire que le Réel lacanien m’indique que je n’aurais aucune maîtrise sur le moment de mourir mais que, pendant que mon cœur swingue, je veux être bien dans ma peau. Tel est mon choix. Être content est une sensation très agréable. Ce matin, la dame avec qui je vis depuis des décennies, m’avait écrit un petit mot « Mon chéri, il y a beaucoup de vent, fais attention et ne prends pas le parapluie », sachant que j’étais à bicyclette.
Cette dame m’a enseigné à aimer. Elle m’a enseigné parce que j’étais prêt, frais et dispos à apprendre après ma psychanalyse. Je suis devenu le père de ses enfants. Moi qui, enfant m’étais promis de ne jamais me marier, je suis très content d’avoir réussi à retenir – au nom de notre désir – une femme à mes côtés.
La preuve de l’efficacité de la psychanalyse ? Je la vis chaque matin quand je me réveille avec le désir d’être debout. Les critères de la psychanalyse sont subjectifs, ils ne peuvent pas être comparés comme en biologie. La biologie compare une expérience en prenant appui sur deux groupes. C’est ce que j’appelle la méthode horizontale : un individu en comparaison avec un autre, un groupe de rats (je pense au bacille de la peste, Yersinia pestis) en comparaison avec les rats de la cage d’à côté. En psychanalyse, je propose l’examen de l’efficacité sur le même être, pas sur cet être en comparaison avec l’être d’à côté.
Si j’ai utilisé mon expérience dans le présent récit, c’est parce que je suis celui qui connaît le plus l’individu qui l’a vécue. Ainsi, avant la psychanalyse, j’étais malheureux d’être dans ce bas monde ; aujourd’hui, chaque jour me prouve que grâce à mon désir de me faire psychanalysé, je suis devenu quelqu’un. Conclusion : ma psychanalyse a été efficace. Ceci pour ma position de sujet (s).
En tant que psychanalyste (donc dans la position de sujet barré ($)), j’ai étudié la « non-efficacité » de la psychanalyse. Pour quelle raison une psychanalyse, comme un bateau, ne fonctionne pas, ne marche pas, pour quelques psychanalysants ? Réponse : parce qu’il n’y avait pas de psychanalyste mais un analyste sur le bateau, ou un mi-analyste, ou encore un psy qui se fait passer pour un clinicien apte à occuper la position de supposé-psychanalyste ; le psychanalyste n’a pas continué sa psychanalyse ; le psychanalysant n’est pas encore prêt à occuper cette position. D’ailleurs, c’est pour rectifier cette erreur que j’avais construit la technique nommée « question au grand Autre barré ». La visée de cette technique est de vérifier si l’être dans la position de patient a le désir de construire sa subjectivité (position de psychanalysant) ou si l’être tient à continuer son frotti-frotta avec le Moi et ne se décide pas à construire sa subjectivité pour s’engager à devenir sujet.
Ces raisons – et le lecteur remarquera que je charge sans pitié le praticien – viennent indiquer que la psychanalyse n’est pour rien dans l’échec de la navigation clinique. En voyant que les excellents cavaliers n’étaient pas parvenus à dompter Bucéphale, Alexandre a pensé à voix haute après que son père, Philippe, ait dit vouloir rendre l’animal à son propriétaire car, selon lui, il était « indomptable » : « Quelle dommage de se débarrasser d’un animal merveilleux par l’incompétence du cavalier ! ».
Bucéphale est l’autre nom de la psychanalyse. Ne le monte pas qui veut.
II- Pour devenir psychanalyste, il faut repérer le moment où le patient, sur le fauteuil, est prêt à passer sur le divan. J’avais construit cette technique grâce à Lacan et à Hamlet. Je ne me souviens pas très bien comment cela m’est venu. C’était l’été, je ne dormais pas et je passais le temps en regardant la lune de la fenêtre de mon bureau. Je retourne à ma lecture de Shakespeare de la même manière vagabonde que je regardais la lune. Puis un passage me révèle la technique. J’ai voulu réveiller Édith. J’étais trop content car depuis que j’avais commencé ma psychanalyse, je me demandais pour quelle raison les uns passent sur le divan quand d’autres restent sur le fauteuil. Mais, je me contrôle et j’attends son réveil.
Au petit matin, je raconte à Édith, nous rentrons à Paris. Le lundi j’expose l’affaire à Jean-Baptiste et lui demande de mettre en place cette technique avec moi. En une semaine nous avons installé quelques patients sur le divan. La technique a fonctionné et c’est elle que nous utilisons jusqu’à présent au sein du RPH.
Les analystes continuent à bricoler chacun dans leur coin et à leur sauce le fameux passage du fauteuil au divan. Leurs résultats sont décevants car sans méthode, sans technique et sans rigueur. Comment faire science sans scientifique ? Comment faire psychanalyse sans psychanalyste ? La psychanalyse est toujours debout grâce au psychanalysant.
Parler bien en public ne fait pas d’un prof de fac un psychanalyste, mais un rhétoricien hors pair.
III- Il me semble important de faire une distinction entre « l’inconscient structuré comme un langage » de Lacan et l’Inconscient avec un « I » majuscule. Le premier est celui où la libido est attachée au signifiant, c’est l’inconscient du retour du refoulé, du symptôme corporel. L’Inconscient avec un « I » majuscule est identifiable dans la maladie organique. Il se caractérise par l’expression sans limite de la libido qui amène vers la Todestrieb et qui, en étant détachée du signifiant, ne donne pas au psychanalyste la possibilité d’intervenir et la raison, je le répète, est que le signifiant n’est pas attaché à la libido.
Le désir est insaisissable mais son expression, une fois qu’il se réalise, est repérable cliniquement. Le respect de la règle fondamentale est responsable de cette suture : le signifiant s’accroche à la libido qui, grâce à son action, transforme la pulsion par la castration et qui, grâce à l’objet rien, objet qui produira le désir, met en route la dynamique de l’être à construire. À la fin de la construction, l’être pourra s’exclamer : « Voici mon désir ! ».
Pour quelle raison mettre en évidence le désir de construire ? Quid du désir de détruire ? Il n’existe pas de désir de détruire, il existe la libido qui coule par la facilitation propre à la destruction chez le Moi humain (Todestrieb), ou la pulsion de destruction, propre à la jouissance des organisations intramoïques.
L’inconscient ne fait pas partie du Réel, il fait partie du Symbolique. L’Inconscient fait partie du Réel. Les deux sont inaccessibles, mais le premier se caractérise par sa destinée à être accessible tandis que le second se caractérise par l’expression de l’incompréhensible pour l’être lui-même et pour l’autre.
L’inconscient ne fait pas partie de l’Inconscient même si les deux sont structurellement constitués de libido. Métaphoriquement, le premier, « i », est constitué d’une eau (libido) boueuse (signifiant). Sa texture n’empêche pas la navigation – du bateau de l’ONG Dead Sea Revival – sur la Mer Morte ; le deuxième, « I », est constitué d’une eau sans boue, la Mer Méditerranée.