Fernando de Amorim
Paris, le 8 octobre 2024
Le cabotage chez les marins indique que la navigation se fait sans prendre le large, comme dans la navigation hauturière où le bateau va vers des eaux jamais sillonnées. C’est la différence entre une analyse et une psychanalyse.
Dans le cas d’un patient qui pose une question au grand Autre et où cette question est validée par l’examen du clinicien, ce patient devient psychanalysant et il commence à construire sa subjectivité. Quant au clinicien, qui était dans la position de psychothérapeute, il devient supposé‑psychanalyste.
En revanche, l’être peut décider autrement sur l’avenir de sa psychanalyse.
En évitant de prendre le large, comme le ferait un psychanalysant, l’être s’accroche au Moi. Il navigue alors en cabotage, c’est-à-dire sans perdre le contrôle de la navigation, sans perdre les repères terriens. En d’autres termes, le Moi et l’être ont toujours un œil sur la terre.
Le cas du docteur A., présenté aujourd’hui dans le cadre d’une passe externe, montre que la clinicienne a fait le nécessaire pour que la psychanalyse – proposition de départ puisque l’être est devenu psychanalysant – puisse suivre sa route vers la Mer d’Œdipe, mais le Moi n’a pas cédé de sa position et ce avec l’accord de l’être. Donc il s’agit d’un çabotage : le Moi sabote la possibilité de l’être dans la position de psychanalysant de devenir sujet. C’est son droit, et c’est le devoir du clinicien de chercher des ouvertures pour changer cette voie et de réanimer le désir de savoir.
Ainsi, à la sortie de la cure, il n’est pas possible de parler de psychanalyse, puisqu’il était impossible de repérer un ou plusieurs fantasmes et leurs respectives traversées, mais bien d’analyse, puisque le Moi, en accord avec l’être, ne souffre plus.
La reconnaissance d’une analyse, et donc du clinicien dans la position d’analyste, n’est pas ce qui est attendu dans la conduite d’une psychanalyse. Cependant, il est important de reconnaître que l’être navigue de cette manière, à savoir en cabotage. Son Moi est toujours fort, non pas parce que le clinicien conduit la cure dans cette voie, mais parce que le Moi, en accord avec l’être, en a décidé ainsi. D’après son témoignage au cours de la passe externe devant des psychanalystes, la clinicienne a fait ce qui était possible. Il ne s’agit pas d’une décision clinique, mais d’une acceptation du clinicien de la volonté du Moi aliéné, consentie par l’être lâche.
Selon ma métaphore, une psychothérapie se fait sur une rivière, le cabotage se fait sans quitter la terre de vue, preuve que le Moi est toujours le maître. Une psychanalyse se fait en ayant comme repère les associations libres et les formations de l’inconscient, ce qui suppose qu’autour du divan, il n’y a que du ciel et de l’eau.
Ce qui détermine la sortie de psychanalyse, c’est le repérage, par les psychanalystes membres de l’École et les invités extérieurs, d’un fantasme originaire, de sa traversée et de la construction, à partir de l’objet rien, propre à la condition de l’être, de sa position de sujet.
Sans ce dispositif repérable par un psychanalyste, il n’est pas possible de parler de psychanalyse.
Une fois entré en psychanalyse, l’être n’est plus en psychothérapie ; comme il va mieux mais qu’il n’y a pas traversée d’un fantasme originaire, ni construction de la position de sujet, ni construction de sa responsabilité de conduire aussi sa destinée à partir de l’objet rien, il n’y a pas psychanalyse.
Il y a çabotage par le Moi, avec le consentement de l’être.
Le clinicien, sans possibilité de réanimer le désir de savoir propre à la position de psychanalysant, accepte la sortie d’analyse, car l’analysant – et non le malade ou le patient, selon les dires de Freud – va mieux et ne souffre plus de ce qui le faisait souffrir au moment de sa première visite. Parfois, l’analyse est authentifiée par le praticien, parce qu’il ne sait pas occuper la position de psychanalyste. Alors, il est question de sabotage du désir de l’être.