Fernando de Amorim
Paris, le 7 mars 2025
Dans une brève précédente, j’avais mis en évidence que le Moi, « a », « ne parle pas la langue », c’était-à-dire : le Moi refuse l’Autre barré (Ⱥ) et s’adresse à autrui (a’’’), son compatriote humain. Cette adresse verbale justifie l’expression parler pour ne rien dire.
Puis, il y a le Moi qui se refuse à parler la langue et à parler avec le compatriote humain.
Dans une troisième situation, le Moi affirme que l’Autre barré ne lui parle pas, ne lui dit rien. Quelle est la différence avec la situation précédente ? Dans la précédente, le Moi sait parler mais s’y refuse, alors que dans celle-ci il ne sait pas parler, il n’accède pas à l’Autre ni à autrui.
Dans une quatrième situation, le Moi se dégonfle et l’être caché sous ses jupes apparaît. Il s’engage à aller vers l’Autre barré et à traverser l’Imaginaire pour bien dire. Il faut se rebeller contre l’Autre non barré (A) pour ensuite pouvoir – c’est un pouvoir désirant – aller à la rencontre de l’Autre barré (Ⱥ).
Ce pouvoir désirant, je ne le trouve pas chez les psychologues qui se gargarisent d’être aussi cliniciens ; parfois même, comme quelques psychiatres, d’être aussi psychanalystes, comme si la psychanalyse revêtait forme de bouée de sauvetage. Elle l’est, mais pour l’être dans la position de malade, patient ou psychanalysant. Elle ne l’est pas pour le Moi dépourvu de courage de rencontrer son Autre non barré, de se présenter une main devant, l’autre derrière, devant l’Autre barré et de porter son signifiant, maintenant à soi, jusqu’à l’action. La faculté forme des marins de piscine, incapables de savoir où se trouve le Nord clinique dans le discours de celui qui souffre. C’est ce que m’inspirent leurs jérémiades au fil de l’article publié dans les pages « Jeunesses » du journal Le Monde du mercredi 5 mars 2025.
Comme j’avais pris grand soin de le signaler, je ne vise pas ici les psychologues qui ne cherchent pas à faire de la clinique. Je vise uniquement ceux qui portent, sous leur intitulé de psychologue, celui de clinicien.
Clinicien de quoi exactement ?
Comment est-il possible de faire de la clinique avec « des contrats de cinq ou six heures par semaine » et prendre en charge la souffrance des enfants quand la connaissance théorique et clinique n’est pas au rendez-vous ?
Comment est-il possible d’opérer cliniquement sans formation clinique ? Et par pitié, lecteur, n’évoquez pas leurs 3 000 heures de stage, car faire un stage n’est pas faire clinique, puisque faire clinique suppose braver la tempête transférentielle seul pendant des années et parfois plusieurs fois dans la journée, et non courir aux abris.
Comment gagner sa vie correctement quand les structures « dans lesquelles ils exercent » correspondent à des associations « à but non lucratif » ? La politique n’est pas de former des cliniciens – cela se saurait – mais de donner un diplôme à un Moi misérable pour porter des Moi miséreux.
À la CPP (Consultation publique de psychanalyse) du RPH (Réseau pour la psychanalyse à l’hôpital) ‑ École de psychanalyse, la visée n’est pas de gagner de l’argent. Pour cette raison, les étudiants reçoivent les demandes de personnes en souffrance qui n’ont pas les moyens financiers de payer la consultation, et ce sans limite de temps, pour leur psychothérapie, voire leur psychanalyse. Ce qui n’a rien à voir avec cette pitoyable proposition du gouvernement de douze séances gratuites par an (pourquoi pas douze mille séances, puisqu’on sait que les organisations intramoïques auront le même élan de résistance ?), ou avec ces écoles de psychanalyses qui se vantent d’avoir une consultation de psychanalyse, histoire de justifier l’argent des contribuables qui leur est versé sous forme de subvention sans que l’esprit psychanalytique soit au rendez-vous.
Au RPH, à la CPP, la consultation n’est pas gratuite. Elle peut être gratuite. Mais le clinicien reste attentif à faire en sorte que le Moi ne jouisse pas de sa condition d’aliéné ni l’être de sa position de lâche pour ne pas se mettre au travail de construction de sa responsabilité de conduire aussi sa destinée. Telle est la vraie visée d’une rencontre avec un clinicien qui occupe la position de psychanalyste, indépendamment du fait qu’il ait été estampillé d’un diplôme universitaire de médecin ou de psychologue. La clinique se fait au plus près du lit du malade et non sur les bancs de facultés.
Ceci ne signifie pas que le diplôme n’a pas de valeur, mais cette valeur doit être honorée d’une formation clinique qui commence dès les premiers pas à l’université et non au moment de se confronter au monde.
Les soi-disant cliniciens ne parlent pas la langue de l’Autre barré, ils ne parlent pas la langue tout court, parce que la langue de l’Autre ne leur parle pas. Il y a un rien qui parle, celui qui, comme Raymond Devos, s’est construit à partir de son désir castré par l’Autre barré, le sujet.
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