Fernando de Amorim
Paris, le 24 novembre 2024
Il dit : « Le mot coupe ! » Ce monsieur de trente-deux ans vient maquillé, en jupe, portant la barbe et se désignant comme femme.
La castration est une opération qui consiste à couper l’Imaginaire, ce qui produit un dégonflement du Moi. Dégonflé, le Moi peut prendre conscience du Réel d’une manière plus limpide, ou moins obscure. Cette prise de conscience est une lecture de la réalité, et non du Réel, par le Moi. Il est impossible de lire le Réel. La lecture du Réel devient immédiatement une réalité pour le Moi aliéné, pour l’être castré. C’est ce qui justifie la fulgurance de l’interprétation du Réel par un Copernic, un Darwin, un Freud, un Einstein.
Quand l’être parle, il coupe l’Imaginaire. Quand le Moi parle, il trompe. Il trompe l’être, il trompe autrui. L’autrui, justement. Faire couple ne vise pas à trouver un autrui pour boucher le trou propre à la condition d’être dans son rapport au Réel. Il est impossible de faire couple pour l’être humain. Le Moi humain croit, voire délire, cela possible.
Le manque chez l’être est structurel, c’est pour cette raison que vivre de manière non instinctive, donc pulsionnelle, est difficile, insupportable, voire impossible pour le Moi de quelques-uns.
Il dit à son psychiatre : « J’ai lâché mon corps vers sept ans. Ensuite je me suis occupé de mon esprit. » Face à cette radicale séparation, ce monsieur fait le tour des psychologues, des techniques de dressage du Moi, tels les TCC – techniques comportementales et cognitives – ou encore le yoga, le psychodrame et tant d’autres. L’insomnie, sa boulimie, sa difficulté au travail le poussent vers la rencontre avec le psychanalyste. J’ai toujours accepté ces propositions de « thérapies » supplémentaires, car le Moi psychotique a besoin de plusieurs transferts pour ne pas sombrer dans le vide.
Il reconnaît qu’il y a un pénis, mais qu’il est hors du pénis : « Je vois le pénis de l’extérieur, en forme de pensée et non dans le réel, car je ne vois pas mon pénis à l’extérieur de moi. »
Entre la pensée et le Réel, il est possible de repérer la difficulté du Moi à rassembler ses parties dans la psychose.
Il continue : « Ce pénis que j’ai dans ma pensée produit chez moi une dissociation. »
Il ramène un rêve en séance et, de lui-même, il dit que « l’amour a marqué ma descente de la lune ». Fils d’un père absent, il dit : « Mon père n’est que reproches. Il ne laisse pas de place pour me développer. »
Il dit : « J’ai toujours valorisé l’intellect au détriment du corps. Le corps, avec le cancer, m’a montré que je ne pouvais pas être, être comme je voulais, être comme le commun des mortels, comme les petits gens. » La découverte d’un cancer dans son organisme a produit chez lui une proximité inattendue avec son corps.
Il évoque un discours dans la tête, un discours indépendant du Moi, élément qui met en évidence, s’il était encore nécessaire, de placer ce Moi du côté de la psychose. Il est difficile pour lui de dire si la voix qui lui parle est la sienne ou la voix de quelqu’un d’autre.
Je me limite à lui donner rendez-vous. Il est assidu et associe librement avec un engagement digne de quelqu’un qui désire aller au-delà d’une vie biologique. Il veut se constituer en être qui désire. Indépendamment des difficultés structurelles qu’il rencontre.
Il dit que « le sexe dans sa dimension réelle ne sera pas mis en évidence. Je parle de mon corps dans ma pensée et dans ce cas, mon sexe est remplacé par un trou. »
Il se dit déprimé. Cette déprime voile la haine, haine qu’il a beaucoup de mal à dire. Pourtant, dans le cas de la psychose, dire dans le cadre de la psychothérapie avec psychanalyste est suffisant pour mettre en route, route maritime, la chaîne signifiante.
Il est prouvé que la psychothérapie avec psychanalyste apaise le Moi psychotique, ce qui diminue le nombre d’hospitalisations en psychiatrie, les débarquements intempestifs dans les services d’urgence, les prises de médicaments, les arrêts maladie.
À ce propos, il y a même des patients qui trouvent un travail, louent un appartement, et quelques-uns commencent même à avoir une vie amoureuse.
Ce n’est pas du miracle, c’est le fruit de l’opération conjointe du psychiatre avec le psychanalyste.
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