CORONAVIRUS (6) – Péparons-nous dès maintenant
Fernando de Amorim
Paris, le 19 mars 2020
Le moment n’est pas au chipotage. Le mot « confinement » est à associer à l’isolement d’un prisonnier et cela, c’est vrai, fait écho au discours guerrier de notre Président. Le confinement fait référence à un terrain et ses frontières, à la proximité d’une personne avec une autre. Le mot isolement fait référence à l’action d’isoler ou de s’isoler. L’isolement renvoie à l’état d’une personne sans soutien, sans appui ou réduite à la solitude. Ce qui n’est pas le cas des Français, donc, le confinement est le bon mot pour dire l’opération gouvernementale.
Dans « Le Figaro » du 18 mars 2020, Delphine Chayet intitule son article : « Le confinement, une épreuve psychique à ne pas sous-estimer ». Avec à peu près 60 millions des personnes confinées, il est important de réfléchir à des directives à proposer à l’ensemble de la population face aux difficultés liées au sommeil, à la boulimie, à la claustrophobie, à l’anxiété, aux crises de panique face à l’enfermement, à la dépression, à la frustration, à l’agressivité de nos concitoyens.
Il est vrai que « la quarantaine n’est pas une expérience anodine », surtout quand il nous faut commencer à envisager gentiment d’avoir à connaître semblable situation au-delà de 15 jours…
Les personnes ne sont pas inquiètes pour les symptômes. Elles s’inquiètent, et quelques-uns sont déjà tristes pour la disparition de leurs êtres chers. Ces derniers ne sont pas encore contaminés, hospitalisés, mais de toute évidence, dans leurs esprits à elles, ils, leurs être chers, sont déjà morts. La tristesse a toujours eu ce pouvoir de voiler la haine.
Faisons une distinction entre les consignes sanitaires (lavage des mains plusieurs fois par jour et la distance d’au moins 1 mètre pour les communications sociales) et la dimension psychique.
Affirmer que « Cette crise qui se concrétise ces jours-ci par les mesures spectaculaires de confinement annoncées par le Président de la République, laissera des traces » est risqué. Et cela pour la simple raison que personne ne le sait. En d’autres termes, il n’est pas obligé que cela laisse des traces. En revanche, nous pouvons, dès maintenant, revoir notre copie existentielle : notre rapport avec nos semblables, notre corps, à nous-mêmes. Qui fera le ménage, le repas, le linge pendant le confinement ? Le moment est venu pour que les hommes, indépendamment de leurs âges, se rendent compte en quoi cela consiste de gérer une petite entreprise appelée maison.
Même s’il est vrai qu’« Il est encore trop tôt pour en mesurer l’ampleur » [de la crise et des mesures de confinement, je suppose] », rien ne nous empêche de, dès maintenant, mettre en place des dispositifs de prise en charge psychique par téléphone des Français. Je pense au SETU ? (Service d’écoute téléphonique d’urgence). C’est après le passage du Tsunami viral que nous pourrons évaluer ce qui aura été fait, pas fait et ce qu’il faudra améliorer. Dans mon esprit, la CPP (Consultation publique de psychanalyse) est une solution possible.
Si le virus est une affaire médicale et sanitaire, les symptômes psychiques doivent être traités par des psychistes – psychiatres, psychologues, analystes, psychothérapeutes – formés à la psychanalyse française car, je pense que, ce n’est pas avec un questionnaire comme celui mis en place par le Dr Jianyin Qiu, Directrice de recherche au Centre de santé mentale de Shanghaï, auprès de 50 000 personnes que nous allons apprendre sur l’expérience vécue par la population. Une telle méthode, celle du questionnaire, peut nous renseignée en virologie, pas en santé mentale.
Il me semble important de mettre en place des conclusions à partir des dires des gens, des êtres humains, et non des questionnaires sans sang, sans affects, sans désir, avec ou sans virus. C’est la différence entre un clinicien et les autres.
Que la psychiatre chinoise affirme que le « niveau d’anxiété diminue au fil du temps et que « cette amélioration peut être attribuée aux mesures de prévention et de contrôle prises par le gouvernement chinois pour arrêter la diffusion du virus », ne me convainc absolument pas car je ne pense pas que les informations issues des recherches chinoises et néerlandaises peuvent nous pousser bien loin dans l’étude de la détresse des êtres confinés par le virus : les premiers serrent la vis pendant que les seconds ne vissent rien du tout.
Affirmer que les confinements supérieurs « à 10 jours génèrent des symptômes de stress plus importants chez les individus », ne m’apprend rien sur les confinés, mais prépare, grâce au manque de sens critique des médias, à nourrir le fantasme du stress. En revanche, nous pouvons déjà préparer, dès maintenant, le terrain pour commencer à écouter les personnes car, comme dit la journaliste, je pense que le confinement peut ne pas durer uniquement deux semaines.