Fernando de Amorim
Paris, le 18 juin 2024
Dans un effort de construction d’une lecture de la psychose, ainsi que des phénomènes qui la caractérisent, je me suis lancé dans une proposition métaphorique qui avait provoqué plus de confusion que d’éclaircissement chez mes interlocuteurs.
Cette brève vise à continuer l’effort de clarté.
Il est vrai qu’un élément caractéristique du Moi psychotique est le préjudice, jusqu’à la certitude, de sa relation avec le Réel, la réalité et le corps, qu’il s’agisse de son propre corps ou du corps de l’autre.
Freud, et Lacan à sa suite, ont mis en évidence la Verwerfung et la forclusion du Nom-du-Père comme l’élément qui indique que le clinicien a affaire à une structure psychotique. La fonction du diagnostic structurel est de donner au clinicien une orientation grossière (Nord et non Est, Sud et non Ouest) de la conduite de la cure. Le diagnostic spécifique, concept élaboré par le docteur Lucille Mihoubi, vise à affiner la navigation – NW ou 315° (Cf. Rose des vents) – pour que l’être puisse sortir de psychanalyse et ainsi occuper la position de sujet, ici sujet de structure psychotique.
Cette exigence dans la conduite de la cure, telle celle d’un marin, n’est pas de la rigidité mais de la rigueur. Elle signifie que le clinicien, comme le nautonier, doit tenir la barre de la cure pour que l’être arrive à bon port, c’est-à-dire qu’il puisse devenir sujet, indépendamment de sa structure, à savoir, névrose, psychose, perversion.
Le chaînon, au début du XIIIe siècle, définissait la corde pour pendre le condamné. Au milieu du même siècle, il est devenu l’anneau auquel est suspendu la corde du pendu. Le maillon, au milieu du XVIe siècle, était l’anneau d’une chaîne, puis au milieu du XVIIe siècle, un nœud.[1]
L’expression phénoménologique nommée hallucination est, dans ma métaphore, le témoignage de l’absence du chaînon, nommé par Lacan Nom-du-Père. Le délire, quant à lui, dans ma métaphore, indique que la chaîne signifiante a un maillon ouvert.
Ainsi, dans l’hallucination, le Moi éparpillé par le raz-de-marée qui lui tombe dessus, s’accroche à la corde, voire à l’anneau, pour éviter la mort, la mort psychique. C’est la fin du monde tant redoutée par le Moi en état de crise. Dans l’hallucination, le Moi s’accroche symboliquement aux cordes du pont népalais. En dessous, l’horreur de tomber dans le trou, dans le trou noir, dans le trou représenté par l’orifice sexuel. De là la difficulté pour le Moi psychotique de la rencontre sexuelle.
Dans le délire, le chaînon n’est pas manquant. Quant au maillon, l’anneau d’une chaîne, il est présent mais ouvert. De là les moments de lucidité dans le délire. Dans le délire, il y a un nœud, qui tourne autour d’un thème. Le pont auquel le Moi s’accroche est un pont de singe. Dans les deux cas de l’hallucination et du délire, il est question de précarité pour l’être.
Le maillon est l’anneau d’une chaîne, le chaînon est l’anneau d’une chaîne. Mais ce dernier peut être pris dans un sens figuré, à savoir, celui de lien intermédiaire. Ainsi, si dans l’hallucination le clinicien a la preuve du chaînon qui manque, dans le délire, c’est un maillon ou un anneau d’une chaîne qui est présent mais ouvert. C’est « Le moindre comportement de son collègue », de la Vignette 32 du Manuel clinique de psychanalyse du RPH. Le maillon ou l’anneau se tient par un fil, par un lien intermédiaire qui est le Symbolique. Dans l’hallucination, le Symbolique n’y est pas. De là horreur absolue de sombrer dans le trou.
[1] Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, entrée « chaînon », consulté le 19 juin 2024