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De l’interprétation

De l’interprétation

Pour une psychanalyse scientifique (III)


Fernando de Amorim
Paris, le 21 octobre 2023


Le discours scientifique ne marginalise pas le psychanalyste. Il se marginalise lui, tout seul. La preuve en est la position de l’analyste (Cf. l’embouchure dans ma « Carte des trois structures »). Si le discours scientifique avance des inventions comme étant des certitudes (qui plus est universelles et incontestables), il me semble qu’il s’agit-là davantage d’un récit imaginaire que d’une dissertation structurée symboliquement. Si c’est un récit, c’est un problème qui concerne les scientifiques des disciplines concernées et non le psychanalyste. Que ce dernier s’occupe de la scientificité de la psychanalyse ou, comme ma grand-mère disait : « Occupe-toi de ce qui te regarde ! », expression qui avait le don de blesser mon narcissisme. Impossible de ne pas penser au jeune Lacan et à la boîte de sardines qui ne le regarde pas. La psychanalyse, au contraire de la boîte de sardines, regarde le psychanalyste. Ce dernier, en cédant sur son désir, devient analyste, mi-analyste, d’orientation analytique. En d’autres termes, quand la psychanalyse pointe le désir, l’analyste regarde le doigt.

La position de sujet, celle que je reconnais à la sortie d’une psychanalyse, est une construction et non une fondation.

Le sujet porte la coupure mais cette dernière n’est pas irréductible. Dès qu’il sort de psychanalyse, l’éthique du sujet est de construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée. L’expérience montre – à commencer par celui qui veut occuper la position de psychanalyste – que dès qu’il n’a plus rendez-vous avec le divan, son Moi reprend ses droits (pour reprendre le bon mot de Ninon de Lenclos à propos de la nature). Dans le cas du Moi, son droit est celui de l’aliénation. Il ferme tout ce qui est possible pour ne pas voir, ne pas entendre, ne pas dire, ne pas savoir. Tout est entrepris – fâcheries, maladies, tristesses, plaintes, demandes – pour éviter la castration.

Le sujet est donc une construction. La coupure est chez l’être qui, en désirant devenir sujet, s’applique à couper ses liens imaginaires avec le Moi. La suture viendra, tout naturellement, quand il ne viendra plus en psychanalyse. En revanche, la béance se maintiendra après la sortie de psychanalyse pour le sujet qui désire devenir psychanalyste et qui, en continuant sa psychanalyse, ne laisse pas la béance créée par la castration symbolique se refermer ni pour son être ni pour son Moi. J’avais représenté cette opération de la manière suivante :

ɇ → Ⱥ → ï → ⱥ = $

Où :

ɇ =     l’être barré

Ⱥ =   l’Autre barré

ï =     l’imaginaire castré

ⱥ =     le Moi barré

$ =    le Sujet barré

e =     l’être aristotélicien

ë =     l’être castré

Ss =   Surmoi (Surmoi puissance symbolique)

⋔ =    Même s’il s’agit d’un symbole mathématique, je mets en évidence qu’il s’agit d’un instrument de torture, qui dans l’antiquité était utilisé pour immobiliser les esclaves. Ici, il représente la résistance du Surmoi qui immobilise et torture le Moi.

I =     l’Imaginaire

s =     le sujet

Voici mon explication :

En choisissant (décision de l’être) de quitter sa relation infantile avec le Moi (a), l’être (e) se castre (choix de l’être), devenant ainsi être castré (ë). C’est l’être de l’honneur, celui qui écoute le Surmoi (Ss) à ne pas confondre, à l’instar de Freud et Lacan, avec la résistance du Surmoi (⋔).

En entrant en psychanalyse, l’être devient être barré (ɇ), ce qui le pousse à aller de manière décidée vers l’Autre barré (Ⱥ). En continuant sa psychanalyse, le psychanalysant, dans la position d’être barré (ɇ), castre l’Imaginaire (I). L’être barré castre son Imaginaire qui sera représenté par (ï), barrant aussi le Moi. Le résultat est sa deuxième naissance, à savoir sa naissance en tant que sujet car sa première naissance était en tant qu’être aristotélicien et fait référence à la naissance biologique. La naissance en tant que sujet est une position, ce n’est pas une place. Il n’y a pas de définitif chez l’être humain : ses terres, ses traditions, ce sont des expressions de divertissements que le Moi met en place pour ne pas céder de son gonflement imaginaire et pour ne pas être castré.

Aucune couture ne fonde un sujet. Une telle perspective est aussi propre à l’aliénation structurelle du Moi. Il s’agit d’un compromis de sa part. La visée d’une psychanalyse est que le sujet construise sa responsabilité et non qu’il assemble quoi que ce soit (ni terres, ni fortunes, ni enfants, ni femmes). Cette perspective a produit, et continue à produire, l’avortement de la position de psychanalyste et l’accouchement des positions monstrueuses qui se réclament de Freud, de Lacan, de la psychanalyse. L’esprit de la castration n’étant pas au rendez-vous, le psychanalyste devient analyste, psychothérapeute, psy.

Jusqu’à présent, la lecture des théories, comme celles de Freud, de Lacan, de Klein, de Bion, pêchent toujours par leur accrochage, telle une moule à son rocher, à leur terre ferme.

Jusqu’à présent, les interprétations de l’inconscient sont faites par des terriens. Les analystes ne se jettent pas dans la navigation hauturière, navigation caractéristique d’une psychanalyse.

L’interprétation coupée en deux – « ceci et cela » ; « d’une part, d’autre part » – est la preuve du manque de rigueur propre au Moi, qu’il s’agisse de l’interprétation d’un biologiste ou d’un psychanalyste. L’interprétation coupée en deux est fausse puisqu’elle vient du Moi. L’interprétation vraie pousse en avant le bateau de la cure. Est-il possible de penser un bateau qui se coupe en deux pour aller à tribord et à bâbord pour satisfaire la volonté du Moi du navigateur ? Le Moi de l’analyste pense que tout le monde à tort et qu’il a raison parce que d’un jeu de mots il a déclenché un mouvement libidinal pendant la séance. C’est comme si le pécheur attrapait une sardine un peu plus grosse à mettre en boîte et que cela l’autorisait à croire que la pêche était exceptionnelle. Ce qui compte en navigation, comme dans une psychanalyse, c’est d’arriver à bon port (pour la névrose et la psychose) ou à un mouillage (pour la perversion).

Se gargariser de montrer les bords de la plaie n’est pas suffisant. Loin de là. Il faut être plus ambitieux pour faire de la psychanalyse une science. Il faut prendre en compte qu’avec la suture tout espoir clinique de construction de la position de sujet s’évanouit.

Il faut construire une ouverture pour que l’être barré construise sa subjectivité au point de devenir sujet. Une telle opération se veut symbolique. Il faut ajouter aussi la prudence qu’exige le repère des eaux où navigue le bateau nommé psychanalyse car la conduite d’une psychose n’est évidemment pas celle d’une névrose. C’est même le b-a-ba clinique.

D’où la question : qui interprète ? Le Moi (a) ou l’être (e) ? Si c’est l’être, dans quelle position est-il ? Celle d’être castré (ë) à l’hôpital ou sur le fauteuil, ou dans la position d’être barré (ɇ) sur le divan ? Dans la position de sujet (s) à la sortie de psychanalyse, ou enfin, celle de psychanalyste ($) autorisé par le psychanalysant qui interprète ?

Sans ces repérages, issus de ma lecture en tant qu’élève studieux de la théorie de Freud et de Lacan, et non en tant que « psittaciste », il me semble que le clinicien ne sera pas apte à appuyer le désir de Freud de faire de la psychanalyse une science à part entière.