Fernando de Amorim
Bellevue, le 7 août 2024
Il y aura un avant et un après mon enseignement dans l’exercice de la psychanalyse.
Une patiente veut faire de l’EMDR, une psychanalysante veut faire une TCC. La première continue sa psychothérapie, la deuxième veut abandonner sa psychanalyse. Dans ces deux situations, j’avais appuyé leurs initiatives, car la médecine, la psychiatrie, la psychologie et les techniques de dressage du Moi visent à taire le symptôme, ce qui fait souffrir.
Or, la psychanalyse n’étouffe pas le symptôme, elle invite l’être à associer librement ses pensées. Les conséquences de cette invitation, si l’être l’accepte, c’est qu’il se désolidarisera du Moi et s’engagera avec l’Autre barré. Le résultat : le symptôme n’aura plus de fonction et la libido qui le nourrissait, nourrira sa position de sujet. Je m’explique.
Si je ne m’oppose pas à la décision de ces deux personnes, c’est parce que la visée de la psychanalyse est de faire en sorte que l’être souffrant, dans la position de malade ou de patient, entre en psychanalyse et que, dans cette position, il commence à construire sa subjectivité – position de psychanalysant – pour qu’enfin, à la sortie de la psychanalyse, il puisse devenir sujet et surtout occuper cette position, position qui se caractérise par la construction de sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.
Jusqu’à présent, personne n’a théorisé cela si clairement.
Si cette clarté, ou supposé clarté, m’est venue à l’esprit, c’est parce que je suis en psychanalyse, parce que je suis studieux de Freud et de Lacan, que je suis entouré des membres du RPH.
Pendant la pandémie de COVID-19, les analystes adversaires inoffensifs de l’orientation lacanienne ont découvert bouche-bée qu’il était possible d’assurer des cures psychothérapeutiques par téléphone. Pour lesdits analystes, c’était cela ou ne pas avoir de quoi nourrir leur famille. Le Réel a cette aptitude qui me plaît au plus haut point, à savoir : tirer l’être vers le haut, au détriment des considérations et condoléances du Moi.
Ces analystes se disent des freudiens purs, gardiens de l’orthodoxie freudienne. Il s’agit ici d’une orthodoxie qui sert les intérêts du Moi et non de l’être, qu’il s’agisse de l’être de Freud ou de l’être du psychanalysant. Un psychanalyste est là pour servir le discours du psychanalysant, discours qui vient de l’Autre barré.
Une patiente fait trois séances et paye dix euros. Il s’agit d’une patiente qui vient me rendre visite dans le cadre de de la CPP (Consultation publique de psychanalyse). Elle a contacté le SETU? (Service d’écoute téléphonique d’urgence), parce qu’elle est agressée par son conjoint. Cette majeure, donc pas adulte, de trente ans signale qu’elle a été éduquée dans une famille recomposée, s’alcoolise quotidiennement, affirme être en couple avec un goujat – c’est mon interprétation – qui la frappe dès que l’occasion se présente. Elle a un enfant en bas âge.
Elle dit souffrir de troubles anxieux et d’un état dépressif fréquent.
Ainsi, une semaine plus tard, de trois séances à dix euros, elle veut passer à deux séances :
« Êtes-vous sûre ? lui demandé-je.
– Oui ! dit-elle avec fermeté.
– Combien pensez-vous payer par semaine ?
– Vingt euros !
– Donc vous ferez deux séances à vingt euros ! »
Elle comprend ma manœuvre et s’esclaffe :
« Vous voulez vraiment m’augmenter !
– C’est cela ! »
Elle reprend :
« Puis-je faire une séance le mardi et deux le jeudi ?
– Oui ! »
En fait, ce qui était un compte d’apothicaire, est devenu une action clinique qui a poussé, grâce à elle, sa cure vers l’avant. Elle a maintenu le nombre de séances, sans que j’y sois pour quoi que ce soit, et elle a augmenté le prix de ses séances.
Les analystes ne comprennent pas que ce n’est pas en faisant payer beaucoup qu’il y aura cure psychanalytique. Il y a cure psychanalytique quand l’être choisit de grandir, peu importe la somme qu’il paye.
De là ma distinction entre argent et pognon. L’argent de la séance a une valeur symbolique qui valorise l’être, son désir, sa cure. Il y a ceux qui payent, parfois beaucoup, pour ne pas savoir.
J’avais demandé à quelqu’un, après des maniements incessants pour dénouer sa résistance, de faire quatre séances à cinquante euros. Elle m’avait dit qu’elle ne pouvait venir qu’une seule fois. Je lui avais dit mon accord en précisant que la séance passait à deux-cents euros.
Elle a répondu du tac au tac : « Ça ne vaut pas ! » Elle me visait, elle qui avait dit précédemment : « Je sais que je vous emmerde ! »
Elle avait tout à fait raison. Elle pense qu’elle ne vaut pas et elle m’emmerde, c’est-à-dire qu’elle jette sa merde symbolique sur moi, sur mon travail, sur mon école. Elle ne vaut pas, parce qu’elle paye avec du pognon, donc de la merde. L’argent est une valeur symbolique de reconnaissance de soi et de l’autre. La question de l’argent en psychanalyse est un signifiant majeur qui révèle ce que l’être ne veut pas révéler, à savoir, sa mesquinerie à construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.