Fernando de Amorim
Paris, le 3 décembre 2019
« Les bestes nous montrent assez combien
l’agitation de nostre esprit nous apporte de maladies. »
Michel de Montaigne
Les Essais, II : XII
Aujourd’hui, les plaintes sur la douleur et la souffrance tombent en cascade :
- Le Figaro du 2 décembre 2019 intitule son dossier santé : « Quand le psychisme nous fait souffrir » ;
- Santé Magazine publie : « Maladies chroniques : un lien entre la fatigue mentale et l’inflammation du corps ».
- Le généraliste publie « Douleur chronique : les spécialistes demandent l’aide des généralistes ».
Ce qu’ont en commun ces trois articles est la mise en évidence des techniques d’imagerie cérébrale, du rôle du cerveau et d’une bonne prise en charge de la douleur chronique par l’usage des morphiniques.
Pas un mot sur la clinique psychanalytique, sa prise en charge de la douleur organique, dans un dispositif que j’avais appelé clinique du partenariat, pas un mot sur la psychothérapie et la psychanalyse des patients et des psychanalysants en souffrance psychique.
Ce refus du pouvoir du bien dire caractéristique de la rencontre avec un psychanalyste ne rend service ni à la médecine française, ni aux médecins ni, surtout, aux patients eux-mêmes.
Quelles sont les raisons d’un tel refus ? L’ignorance. N’importe quel patient rencontré dans le cadre de la Consultation publique de psychanalyse (CPP), a pu tirer profit de la consultation. La raison en est que chacun se trouve face à ses fantasmes, à ses maltraitances, à ses besoins de punition, ses culpabilités.
Si la médecine vétérinaire ne demande pas le consentement de son patient pour l’opérer et intervenir sur son organisme, la médecine humaine devient de plus en plus vétérinaire quand elle exclue la présence de la parole bien dite, et par conséquent du psychanalyste, dans le champ opératoire de la médecine.
Il est fondamental que tout médecin n’attende pas une formation miracle pour choisir d’introduire le psychanalyste dans sa rencontre avec le malade. Qu’il, le médecin, fasse simplement usage de ce que j’appelle l’autorité du transfert pour diriger le malade vers la CPP.
Les maux doivent, c’est une constatation clinique, être pris dans le discours des malades, des patients et surtout des psychanalysants. Cette opération ne peut se faire qu’avec un psychanalyste. La raison est qu’il est formé, je pourrais même dire forgé, à entendre l’inconscient structuré comme un langage, selon la formule bien dite de Jacques Lacan.
Si un médecin se limite à prendre la douleur et la souffrance uniquement par la voie cérébrale, neuronale, ou médicamenteuse, il passera à côté de son affaire.
Je ne lui demande pas ici de me croire sur parole. Je lui lance un défi clinique avec prétention scientifique : qu’il m’adresse deux patients à la CPP ou qu’il me convie à rencontrer un patient. Sans aucune intention autre que d’être utile à lui et surtout à son patient, je pense pouvoir mettre en évidence un bon nombre d’enjeux inconscients qui pourront changer la manière dont le médecin, et surtout le patient, lisent la douleur, en répondant différemment au traitement médicamenteux, ou à la souffrance. Cette mise en évidence passe par l’écoute de son discours et des expressions de son corps, Autrement. Ce A majuscule indique que le locus où il faut chercher, et trouver, les mots pour bien dire, se construit à partir de l’Autre barré (Ⱥ), terme technique qui indique que la souffrance comme la douleur, peuvent trouvées abri n’importe où dans le corps, et même dans l’organisme. Il s’agit de la structure de l’être parlant qui est négligée par les apprentis-sorciers, au nom d’un discours scientifique où le sçavoir – le ça de l’écriture de Montaigne rejoint le ça freudien – est d’en plus en plus exclu.