Discrédit ?
Fernando de Amorim
Paris, le 10 octobre 2021
Dans « Le Figaro Magazine » du 8/9 octobre 2021, numéros 23991 et 23992, Charles Jaigu pose la question suivante : « Les découvertes de la relativité, de la mécanique quantique, de la complexité du vivant, de la mort thermique de l’Univers et, surtout, du Big Bang sont-elles suffisantes pour convertir les incroyants d’aujourd’hui ? Les auteurs [Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies] de « Dieu, la science, les preuves » en sont convaincus ».
Il me semble que nous touchons là à une confusion entre vulgarisation de la science et vulgarité de l’opinion.
L’effort de vulgarisation, portée par une sorte d’amour du prochain, tente de résumer aux béotiens le résultat de travaux qui ont duré des années, voire des décennies. La vulgarité, quant à elle, est le propre de notre époque où chacun réagit en direct, par SMS, masqué derrière son pseudonyme, aux arguments d’un scientifique dans les media.
Je pourrai tout à fait me passer d’employer mon temps dominical à écrire une brève pour réagir, alerter, corriger, et déplorer qu’une telle information paraisse dans un tel article à propos de l’existence ou non, prouvée ou non de dieu puisqu’à la page 44 de ce magazine, je découvre un schéma intitulé « Le grand retournement » (encore un coup du Z ?) où figure côté
« Déclin des idées matérialistes », coincée entre « complexité du vivant, ADN, décryptage du génome (1950-2003) et « Effondrement du bloc marxiste soviétique (1989) « Discrédit des théories freudiennes (1980-2000). Vous comprendrez qu’il me fallait prendre quelques minutes pour une réaction.
Examinons le déclin des théories de Freud.
De ma fenêtre, ce déclin est propre à toute théorie qui ne se porte pas bien. Or, la psychanalyse, se porte à merveille. Pour preuve, les gens qui peuvent se lever le matin sans la disposition lancinante de ne pas aller travailler, ne pas aimer ou décidant de ne pas terminer leur journée en se jetant d’un pont.
Le complexe d’Œdipe est toujours d’actualité : que tu sois fils indigne, fils de pute ou capitaine d’entreprise, tu es pris dans la relation vécue de ta condition médiocre de vivant et dépendant de l’autre. Quand cette condition trouve une mauvaise rencontre et s’aligne avec l’objet perdu – que Lacan avait nommé objet a –, cela déclenche, des symptômes psychiques (angoisse), corporels (paralysies) et même des symptômes organiques (avec lésion). Ce dernier point fait partie de la richesse de l’avancée de la recherche psychanalytique française au sein du Réseau pour la psychanalyse à l’hôpital – École de psychanalyse. Des textes sont
publiés régulièrement et rendus publics sur le site de l’École et dans notre revue (Revue de psychanalyse et clinique médicale) prouvant la vitalité de la psychanalyse.
En revanche, preuve à l’appui, il m’est possible d’affirmer que, c’est grâce à la psychanalyse en tant que science (sa méthode, ses techniques, le désir du psychanalysant de savoir et le désir de psychanalyste tout court) que les gens peuvent construire une raison, non d’être vivant, mais d’exister.
Déclin dites-vous ?
La Consultation publique de psychanalyse a assuré plus de 60 127 consultations en 2020. Aucun suicide depuis 1991, date de l’officialisation de notre consultation à l’hôpital Avicenne (AP-HP). Ce n’est pas parce que les officiers de Philippe de Macédoine n’arrivent pas à monter Bucéphale qu’il faut sacrifier l’animal. Heureusement la bête a trouvé le désir du
pubère Alexandre. Ici, nulle entité supérieure, nul hasard, rien que l’énigme et la merveille de la bonne rencontre.
Et Dieu dans tout ça ? Je suis du parti de Prévert :
« Notre Père qui êtes aux Cieux, restez-y – Et nous, nous resterons sur la terre, qui est
quelquefois si jolie… ».
Croissance et déclin des idées matérialistes : les auteurs se mélangent les pinceaux joyeusement ; cela est le signe de la vulgarité de l’époque.
La science n’a rien à faire avec Dieu. Dieu est une création du Moi humain pour lire, interpréter et justifier ses actes – le Bataclan en est l’évidence même – et son aliénation structurelle.
Un scientifique n’est pas dans la croyance. Les scientifiques nord-américains, 51% selon les auteurs, peuvent se donner le luxe de croire « en “quelque chose” » (p. 43), mais pas un scientifique qui pense la clinique psychanalytique et sa théorie avec la rigueur exigée par le
discours scientifique, celle du dégonflement du Moi aliéné. Et je m’aligne ici dans cette exigence, voire dans cette prétention, le lecteur choisira.
La psychanalyse n’est pas en déclin. Qui est en déclin ce sont les analystes, les psys. Puisqu’ils ont abandonné la position de psychanalysant, choisissant la jouissance du Moi au détriment du désir de l’Autre barré.
Ce qui amène à l’ascension de la médiocrité, de la lâcheté : tirer sur des gens désarmés, dans le dos, égorger quelqu’un par derrière, ce sont des faits qui font la preuve même de cette lâcheté ; une chaîne d’informations en continu, comme une colique, informe – donc – que des hommes cagoulés ont attaqué des élus à Ivry-sur-Seine hier. La même chaîne fait un reportage sur des guetteurs de trafiquants qui pensent que leurs activités est un travail comme un autre. La culture générale décline, l’aliénation augmente. Et ils ne regrettent même plus d’avoir
manqué l’école, comme l’écrivait Jacques Brel. Voilà la vulgarité de l’époque. Les médias qui font la publicité de la médiocrité du Moi fort aliéné. Le lecteur remarquera que, selon ma lecture, scientifique nobelisé et guetteur ont un point en commun : un Moi fort et aliéné.
La psychanalyse est en ascension parce que, en France, il y a des gens qui prouvent qu’elle a un rôle à jouer dans leurs quotidien. La psychanalyse est le nom du bateau qui permet de traverser l’océan nommé inconscient et qui habite chaque être parlant. Dois-je jeter le bistouri ? Ou le microscope parce que je suis incapable de les manier ?
La psychanalyse, que Freud avait appelé dans un premier temps sa métapsychologie, est une réponse, c’est mon hypothèse, à la « Métaphysique » d’Aristote.
La psychanalyse ressort, dans la tradition hippocratique (à lire comme « L’ancienne médecine » et tant pis pour les simples d’esprits), du désir de quelques-uns de sortir la lecture de la souffrance et de la maladie, voire du malheur humain, des griffes des Dieux.
Les Dieux pour les grecs hier, le Dieu monothéiste aujourd’hui. Pauvre dieu, je le plains car le Moi de l’homme se venge de l’autre – son semblable, son prochain – en son nom, à dieu.
Déclin de la psychanalyse ? Quelle blague ! C’est Freud et Lacan qui ont montré de quoi le Moi et les instances intramoïques, la résistance du Surmoi (Freud) et l’Autre non barré (Lacan), sont capables de faire pour le malheur d’être en vie.
La psychanalyse est très en forme. Je suis le témoin incarné puisque j’écris et je parle de la position de psychanalysant, position qui est bien éloignée de celle de l’innocent.
Les innocents vont certainement au paradis, puisque telle est leur volonté. Ils vont au paradis, déflorer des vierges à gogo, tout en buvant du whisky, à gogo. C’est cela la jouissance du Moi manipulé par ses organisations intramoïques. Aucune limite. Pas de castration.
Dieu, jusqu’à présent, n’est pas de ce monde : ce monde est-il trop médiocre, trop mesquin, trop humain pour qu’il puisse donner des signes de sa présence ? C’est vraiment le plus cadet de mes soucis. En revanche, la science, est une tentative de quelques esprits, dégagés du maximum de croyance imaginaire, de lire avec des moyens symboliques, le Réel. C’est ici que je situe la différence radicale entre la croyance en un Dieu et l’engagement d’interpréter avec des moyens rigoureux, preuve à l’appui, le Réel. Et ainsi faire science. Sans passion, sans mystification.
En psychanalyse, la preuve scientifique tombe de la bouche du psychanalysant dans la position de sujet, au moment de la sortie de psychanalyse, devant ses pairs, psychanalysants, psychanalystes faisant partie de la même École que lui et des membres d’autres écoles de
psychanalyse.
Il s’agit d’une expérience pensée par Lacan – et que j’essaie d’affiner et d’améliorer, scientifiquement – nommée la passe.
Pour les auteurs, le déclin des théories freudiennes se situe entre 1980 et 2000. Je commençais ma psychanalyse personnelle en septembre 1981. Aujourd’hui, je me reconnais devenu adulte
et non majeur, sans peur, sans angoisse, content d’être là, sans aide de psychotrope, de Dieu ou d’Œdipe.
Ainsi, j’apporte mon désaccord, cordial, franc, tonique à l’opinion des auteurs. Preuve scientifique à l’appui.