Fernando de Amorim
Paris, le 26 octobre 2024
Un monsieur, que son psychiatre m’adresse en signalant un diagnostic de schizophrénie, me dit sans ambages : « Je suis enfermé dans la maladie, dans le mal-être, j’ai du mal à être ! »
Il me dit que son angoisse masque sa culpabilité : « Il faut que je supporte ma vie pour que je puisse supporter, pour un temps, la vie de l’autre ! » Il continue : « Je suis aux prises avec mon corps ! » Il enchaîne : « Je vis la vie de quelqu’un que je ne connais même pas ! »
En évoquant son corps, il dit : « Ce sexe, est celui qui m’a été attribué. Il n’y a pas raison que je ne fasse pas usage. Je commence à me faire à l’idée d’avoir du plaisir à me faire pénétrer. »
Encore lui : « Comme si ma voix était indépendante de moi, comme si je ne pouvais pas la contrôler. C’est une voix chevrotante. D’ailleurs, mes pensées sont coupées. Je suis très coupé. Aux yeux de la loi, je suis un adulte ! »
« Donc, vous êtes un adulte », ai-je dit.
Il n’est pas tout à fait d’accord, puisqu’il évoque l’irresponsabilité partagée, entre ses parents et lui.
Lui : « Je proteste contre l’idée de grandir. »
Il pense que l’inconscient danse.
Grâce aux premiers analystes jusqu’à Lacan et à ses élèves, desquels je fais partie, il n’est pas question de se dérober de la rencontre avec le Moi psychotique.
Cette manière de parler rappelle au clinicien qu’attendre, immédiatement, par effet médicamenteux ou suggestif, un apaisement est une exigence puérile.
Quand j’avais mis en place la technique de l’écarteur, en hommage à mes camarades chirurgiens, j’avais comme idée de diminuer le nombre de passages à l’acte, de prises de médicaments, d’hospitalisations et d’arrêts maladie.
Jusqu’à présent, cette technique offre un résultat satisfaisant. Pour quelle raison n’est-elle pas utilisée pour apaiser la détresse de la population ?
Je n’en ai aucune idée et je ne tiens pas à m’exposer à des interprétations imaginaires.
Je pense que la psychanalyse n’est pas pour tous, mais pas pour des raisons économiques ou intellectuelles. La psychanalyse est pour l’être qui désire se dégager de la volonté de son Moi et du désir de l’Autre. La psychanalyse ne peut pas se mettre en compétition avec des intérêts financiers. Elle ne fait pas le poids.
Il est plus économe pour le Moi, qu’il soit celui du malade, du politicien, de la société, de prendre des médicaments plutôt que de venir en séance régulièrement se dégonfler et apprendre sur son aliénation[1].
Comment demander, solliciter, exiger cela du Moi sans passer pour un tyran ? Ainsi, l’aliénation a de beaux jours devant elle.
La psychanalyse aussi.
[1] Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, La santé en action, n° 427, mars 2014.