Fernando de Amorim
Paris, le 9 septembre 2019
Les malades « veulent faire de leur maladie un moteur », dixit le sous-titre d’un article paru dans Le Figaro du 9 septembre 2019. La maladie n’est pas un moteur, elle est un ralentisseur du désir. Elle ne mérite même pas le statut de frein.
Dans l’article, il est question, entre autres choses, d’une dame qui a trouvé le nom de sa souffrance psychique : « bipolarité ». L’idéologie qui se généralise chaque jour davantage me fait penser que quelques psys pensent qu’en changeant le nom de l’odeur il en ira de même pour la senteur. Ce n’est pas parce que l’idéologie de la psychiatrie nord-américaine a éradiqué le nom de la psychose maniaco-dépressive de leur manuel (DSM) que les êtres sont moins psychotiques. Un diagnostic n’est pas la thérapeutique, la prise de médicaments pas davantage, ce qui ne signifie pas que je sois contre la prise en charge médicamenteuse. Il faut investir dans la clinique du partenariat, comme j’appelle l’exercice commun entre psychiatres et psychanalystes au service de la clinique avec les patients qui souffrent et qui désirent être soignés. Or, comment soigner si le mot psychothérapie est exclu ? Sans stratégie commune entre les psychiatres, les psychanalystes, l’entourage, les généralistes et les patients, aucune tentative clinique ne pourra montrer ce qu’elle peut apporter pour de vrai aux patients. Assez des plaintes de la part des psys qui ne comprennent pas que la clinique exige une rigueur qui jusqu’à présent ne se retrouve que dans le quotidien psychanalytique.
Ce n’est pas non plus parce que la dame a trouvé un nom à sa détresse qu’elle est désormais « armée de son acceptation » [de sa maladie]. Si elle est « décomplexée » au point d’en faire « un objet humoristique », elle peut tout aussi bien être dans une phase maniaque. Personne ne le sait. Pour le savoir il faut l’écouter en psychothérapie et attendre que la réponse, la sienne, tombe comme un fruit mûr.
Parler « sur la Toile » de leur schizophrénie ou de leur dépression n’implique pas la construction d’une solution pour sa vie, objet fondamental de la rencontre de quelqu’un qui souffre psychiquement et d’un psychanalyste.
Ces récits attrape-mouche servent à étaler le champ de l’aliénation et non à construire une manière d’être dans le monde avec une de ses spécificités, à savoir : lire le monde avec sa structure, qu’elle soit psychotique ou non.
Que quelqu’un puisse se dire fier d’être schizophrène, névrosé ou autiste est une invention propre qui tiendra un temps la route. J’espère le plus longtemps possible. Cependant, que les patients puissent construire des dispositifs de cette nature indique qu’ils ne peuvent pas faire autrement. En revanche, que les cliniciens puissent appuyer de tels projets sans mettre en évidence l’importance pour le patient de commencer ou de continuer une psychothérapie, me semble signer un manque d’ambition thérapeutique. Mais la résistance à la construction du patient psychotique ne vient pas uniquement des praticiens. Les parents qui demandent aux patients de ne plus continuer la psychothérapie, les parents qui ne financent plus la psychothérapie de leur enfants quand ils commencent à aller mieux, ou encore quand ils commencent à dire que leurs progénitures n’en ont plus besoin, c’est du sabotage avéré.
Une psychothérapie assurée par un psychanalyste – c’est-à-dire un clinicien qui a terminé sa psychanalyse personnelle et qui la continue – est une proposition tout à fait satisfaisante de diminuer la prise de médicaments, le nombre d’hospitalisations et de suicides. Une telle stratégie ne se mène pas seule : elle exige aussi du médecin traitant, du psychiatre, de la famille et surtout du patient un engagement avec la psychothérapie. Un grand nombre d’échecs cliniques avec les psychotiques n’est pas uniquement lié aux symptômes qui caractérisent leur structure psychique. Il ressort du fait que le fou a une fonction d’apaisement familial et que les psys ne savent pas comment conduire leur cure. Si tout un chacun – le psychiatre, le médecin généraliste et la famille – tire sur le transfert avec le psychanalyste, la pauvre psychothérapie ne pourra pas donner les fruits attendus, à savoir, la possibilité que l’être puisse construire une vie qui lui soit possible, voire vivable.
Si la maladie a une fonction, elle est très éloignée de celle d’un moteur.