Fernando de Amorim
Paris, le 19 janvier 2025
Dans un dossier sur la psychiatrie, Le Monde écrit : « Les juges, comme les psychiatres et les préfets, arbitrent avec la crainte de l’erreur d’appréciation conduisant à la sortie d’un malade qui se rendrait auteur, ensuite d’un crime. »1 Cette crainte s’est malheureusement confirmée quand la gendarmerie a annoncé aujourd’hui, 19 janvier 2025, qu’un homme a avoué avoir agressé au couteau, samedi 11 janvier 2025, une femme de 44 ans, mère de cinq enfants. Il l’a poignardée à six reprises, dans le dos et au niveau de la gorge, dans un parc à Vergèze (Gard). L’homme a d’abord pris la fuite avant d’être arrêté ce vendredi 17 janvier. Il a expliqué aux enquêteurs s’être muni d’un couteau dans l’objectif d’agresser quelqu’un. Selon lui, il ne connaissait pas sa victime. Son casier judiciaire est vierge et il était pris en charge dans un établissement psychiatrique. Il avait bénéficié d’une permission de sortie la veille de l’agression. La psychothérapie avec un psychanalyste, voire une psychanalyse, diminue les possibilités de passage à l’acte. C’est un fait clinique.
Comment, en tant que psychanalyste, se rendre utile au psychiatre, au magistrat, à la société et surtout, surtout, au malade en souffrance ?
Le dossier du journal en question fait le constat de ce qui est su depuis des décennies sans qu’aucune modification ne soit proposée à la formation du psychiatre. La psychiatrie française a une tradition clinique richissime. Mais le psychiatre d’aujourd’hui bouffe une soupe froide et sans condiment, à savoir le DSM (Diagnostic and Statistical Manual). Le même DSM qui a laissé tomber la psychanalyse, grâce au travail de sape des analystes.
En un mot, le psychiatre n’a pas l’obligation, il a le devoir clinique de faire partenariat avec le psychanalyste.
Je propose, depuis septembre 1991, une réponse qui s’avère efficace, moins coûteuse financièrement et qui rend digne l’être.
Cette proposition est la Consultation Publique de Psychanalyse. Pour mettre en place ce dispositif, j’avais proposé :
- de faire usage des bâtiments publics français fermés le soir et les fins de semaine,
- que des étudiants de psychologie et de médecine ayant comme projet professionnel de devenir des cliniciens – psychothérapeutes et psychanalystes – puissent occuper quelques pièces dans lesdits bâtiments,
- qu’ils puissent recevoir des patients, et cela dès leur première année de faculté,
- que ces consultations puissent être validées comme des stages
- et que leur montant, payé par les patients selon leurs moyens, puisse revenir pour moitié aux étudiants et pour l’autre à l’État.
Une telle démarche permettrait à ces étudiants de manger à leur faim. Honte à la société qui ne nourrit pas ses étudiants et qui pousse ses esprits les plus brillants à aller étudier la médecine en Roumanie ou à développer la haute technologie en Californie ! Honte à ces politiciens indignes d’occuper la place qui fut, jadis, occupée par un Victor Hugo ! Honte à vous tous !
Le dossier dudit journal est riche en plaintes et sentiment d’impuissance. Les plaintes viennent des psychiatres, des avocats, des juges ; le sentiment d’impuissance vient des proches des patients et des patients eux-mêmes. Le tout est injustifié, et cela parce qu’aucun de ces intervenants ne compte avec l’expérience des membres du RPH (Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital) – École de psychanalyse. Ils doivent – c’est un devoir – compter avec les cliniciens du RPH pour répondre à la détresse psychique de la société malade. Ils doivent compter avec eux, parce que ce sont d’excellents cliniciens. Ils ne font pas dans l’idéologie ni dans le sectarisme. Ils font de la clinique.
La rencontre avec un psychanalyste met en cause l’éducation, le désir parental, le désir du patient lui-même. En un mot, cette rencontre bouscule le Moi.
Quelqu’un, pas plus tard qu’hier, m’avait signalé que j’ai reçu une bonne note sur internet. Le dispositif internet me signale ce matin que j’ai reçu cinq étoiles et qu’il serait de bon ton de remercier le généreux. Le lecteur doit savoir que les avis et le nombre des étoiles me concernant sur internet ne me font ni chaud ni froid. Les avis ne m’intéressent pas. Ni les positifs, ni les négatifs. Je suis un clinicien, pas un marchand de tomates.
Le Monde indique que les institutions gouvernementales donnent aussi de bonnes et de mauvaises notes aux services de psychiatrie. Je ne mange pas de ce monde-là. Ma compétence, je la mets sur la table à chaque séance. Je ne vis que de ma clinique ; si je n’étais pas compétent, j’aurais un deuxième emploi ou je serais en train de vendre des tomates. À une mère, j’avais dit que son fils était une larve ; à un enfant ayant des difficultés motrices, qu’il se laissait aller comme un pantin. La séance suivante, parce que ce garçon est très courageux, ses parents m’ont dit qu’il avait répété plusieurs fois dans la semaine : « Le docteur de Amorim avait dit que j’étais un pantin ! » J’ai répondu que, effectivement, je lui avais dit cela, mais au moment précis où il se laissait porter, tel un pantin, par son père. Qu’il sache que je ne suis pas d’accord qu’il occupe une telle position.
La confrontation avec le Moi, je la nomme descente dans l’arène. Cette descente dans l’arène ne vise pas à se battre avec le Moi gladiateur ou avec les organisations intramoïques, véritables bêtes féroces. Il s’agit pour le clinicien de descendre dans l’arène pour écouter le Moi et ses organisations intramoïques.
Toutes les tentatives d’aide psychique aux malades de psychiatrie sont des bricolages maladroits : les CMP (centres médico-psychologiques) ainsi que les consultations mises en place par des écoles de psychanalyse sont des tentatives claudicantes.
Les résultats de la CPP du RPH montrent une baisse de l’irruption aux urgences des personnes souffrantes psychiquement, la diminution de la prise de médicaments, l’arrêt de la consommation de drogues.
Pour quelle raison ne pas mettre en place la prévention et la thérapeutique proposées par le RPH pour éviter la souffrance des êtres ? Parce qu’il faudrait aller jusqu’au bout du processus qui amène vers la destruction pour ensuite envisager la construction. Comme je l’avais répondu au jeune garçon : je ne suis pas d’accord que les êtres soient traités de la sorte.
- Le Monde, Dossier – La santé mentale sans consentement, 10, 11 et 12 janvier 2025. ↩︎