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FIBROMYALGIE

Fernando de Amorim

Paris, le 15 juillet 2019

Expliquer les douleurs d’une fibromyalgie est une erreur de stratégie clinique majeure. Nombreux sont les praticiens – psychiatres, psychologues ou médecins – à nourrir l’idée que, s’ils accolent une étiquette, quelques-uns parlent ainsi, ils ne se donnent pas la peine de cacher leur embarras de ne pas pouvoir utiliser le mot diagnostic.

Nous devons continuer à être exigeants et viser le diagnostic. Pas un diagnostic dans le sens organique, mais un diagnostic qui indique au clinicien, si le lecteur m’autorise une métaphore aqueuse, le chemin aquatique pour arriver à bon port.

La preuve de cet embarras est quotidienne. Un médecin généraliste parisien fait des arrêts-maladie sans arrêt à une patiente depuis maintenant plus de deux ans. Si le premier diagnostic était du « surmenage », nous avons eu ensuite un « syndrome dépressif sévère », puis une « dépression », une « dépression réactionnelle », puis un « syndrome dépressif », comme cause qui justifie l’arrêt-maladie. La deuxième année, nous avons eu un « syndrome dépressif », « asthénie », « vertiges », « hypotension », « lombalgie ». La troisième année, le « syndrome dépressif est, selon le médecin, « en cours d’étude » (sic !), pour enfin, apparaître « syndrome dépressif et fibromyalgie » et deux mois après « état anxieux et fibromyalgie ».

Une chatte peinerait à trouver ses petits dans un tel changement de chemise, et d’avis.

Quelques journalistes pensent que la fibromyalgie est « encore considérée comme « présentant a minima une part de causes psychologiques » (https://www.futura-sciences.com/sciences/personnalites/sciences-nathalie-mayer-1355/).

Le mot « psychologique » ici est insuffisant puisqu’il n’arrive pas à la cheville de la complexité clinique. Ce qui en soi est normal puisque la dame en question est journaliste et ne cite que des chercheurs. Dans un mot, il n’y a pas de clinicien dans l’affaire. Bien évidemment que des chercheurs pourront mettre en évidence des mécanismes biologiques responsables « de tous ces symptômes », selon la journaliste. D’ailleurs, cette dame me laisse songeur à ce que des « Douleurs chroniques diffuses, fatigue, troubles du sommeil et de l’humeur, anxiété » puissent être apaisées par la découverte des mécanismes et surtout des médicaments qui seront vendus pour apaiser cette souffrance.

Je remarque que l’article ne met pas en évidence l’engagement exigé dans la thérapeutique psychanalytique du désir pour soigner les patientes. Certes, les patientes veulent qu’on les soigne, mais aucun texte jusqu’à présent met en évidence, ce que le psychanalyste côtoie à longueur des journées, à savoir, les freins mis en place par des mécanismes à l’intérieur de l’appareil psychique et que j’avais appelé les organisations intramoïques, pour que la cure n’avance pas, qu’elle soit ralentie, ou qu’elle soit un échec.

Les chercheurs canadiens visent à découvrir des mécanismes avec des références au moins saisissantes, où il se trouve une princesse, le petit pois, vingt matelas. L’important dans cette affaire est que, même s’il s’agit des mécanismes biologiques, dans la clinique de l’être parlant, il faut passer par l’imaginaire et par le symbolique. Ce que semblent oublier les défenseurs de l’exclusion de l’inconscient structuré comme un langage en médecine humaine. Cet oubli est chèrement payé par les patientes, leur entourage et les finances publiques.

Il faut être clinicien pour distinguer si un patient se plaint de douleur ou s’il souffre. La première plainte exige des examens médicaux, quant à la souffrance, elle autorise le psychanalyste à solliciter la patiente à ce qu’elle puisse respecter la règle d’association libre, ce qui lui indiquera le nord de la direction de la cure. Traiter un patient uniquement à partir de son déficit de sérotonine est faire de la médecine vétérinaire : « Il s’avère en effet que les patients atteints de fibromyalgie semblent partager une mutation génétique responsable d’un dysfonctionnement d’une enzyme essentielle à la production STLS de sérotonine ». A partir de cette phrase, je proposerais la mienne : Il s’avère en effet, que le père Noel est une ordure et qu’il semble partager ses week-ends avec Chaperon Rouge dans une sorte de dysfonctionnement essentiel à la production de petits pois ». En quoi la phrase scientifique est plus vraie que la mienne, fruit de mon imagination enfantine ?

Ainsi, pour reprendre un peu de sérieux, je propose aux médecins d’adresser les patients qui arrivent sans diagnostic, avec des douleurs diffuses et sans sustentation organique, au psychanalyste. Un diagnostic psychique, qu’il s’agisse de névrose, psychose ou perversion, est plus aisément solide s’il naît de la construction du patient et non du médecin qui, lui, souffle un diagnostic ou des journalistes télécommandés par des laboratoires pharmaceutiques, ou télécommandés tout simplement par leur ignorance des enjeux cliniques.

Les patientes qui viennent disant avoir une fibromyalgie, souffrent dans leur corps parce qu’elles ne savent pas dire leur détresse d’être en vie. Faire des arrêts de travail pendant des années, jusqu’à ce que le médecin de la sécurité sociale estime qu’il est temps que la personne retourne travailler n’avance pas le problème clinique d’un millimètre. En revanche, cela coûte à la société une fortune en examens biologiques, en consultations médicales, sans parler de l’instrument de vengeance qu’est devenu l’effusion des arrêts-maladie, qui ne grandit ni la science en général, ni les médecins en particulier.

La mise en place de la clinique du partenariat – collaboration entre médecin et psychanalyste – est, par expérience clinique, une voie possible pour que les patientes puissent construire leur manière à elles d’être dans la vie sans exprimer leur détresse par leur corps.