Fernando de Amorim
Paris, le 15 juin 2023
Le concept d’« inconscient » de Freud est une marque de générosité de sa part envers ses compatriotes humains. La même générosité, c’est mon interprétation, je la trouve chez Lacan quand il n’utilise pas le mot « être » mais « être parlant » ou « sujet » en référence à ses semblables.
Ces générosités ne disent pas les faits.
L’être au départ de sa vie est dans une position d’impuissance – Hilflosigkeit, traduit généreusement par « détresse » – et le Moi est lâche par structure.
En représentant l’inconscient comme un océan qui habite tout un chacun, j’ai voulu mettre en évidence que l’être est très loin de l’être parlant ou du sujet.
Voici une classification issue de ma réflexion. La première ligne concerne les êtres normaux ; la seconde ligne, ceux qui désirent savoir, voire même construire une existence :
être → être vivant → être humain → être parlant → être castré…
… → être barré → sujet → sujet barré
(α) (β) (γ)
α : être barré construit sa subjectivité en psychanalyse
β : la position de sujet signe la sortie de psychanalyse
γ : la position de sujet barré, propre au psychanalyste, indique son désir de construire son existence.
L’être ici c’est l’être aristotélicien ; l’être vivant se caractérise par le fait de survivre, de vivoter ; l’être humain, lui, vit, articule des mots, est sensible à la pitié, fait preuve d’indulgence et de compréhension envers ses semblables ; l’être parlant est celui qui parle mais sans savoir ce qu’il dit ; l’être castré est celui qui est pris dans une relation au Surmoi et qui respecte le prochain selon les indications de sa religion, de la société civilisée dans laquelle il vit.
L’être barré quitte cette lecture générale car il veut savoir. Il entre donc en psychanalyse. Pendant sa psychanalyse, c’est-à-dire de l’entrée jusqu’à la sortie, il construit sa subjectivité. À la sortie de psychanalyse, l’être barré devient sujet. Lacan pensait qu’à la sortie de psychanalyse, il y avait un analyste, je pense qu’à la sortie de psychanalyse, l’être devient sujet. Lacan pensait cela parce que – c’est mon interprétation – il avait abandonné sa psychanalyse ; donc, en tant qu’analyste, il ne pouvait que former des analystes et non des psychanalystes. L’IPA, quant à elle, pense former des psychanalystes, mais l’esprit psychanalytique n’y est plus depuis belle lurette, donc elle forme des psychothérapeutes instruits à la théorie psychanalytique.
Il y a esprit psychanalytique quand il y a castration et la castration commence toujours par le psychanalyste lui-même, mais pour cela il doit continuer à nourrir sa propre position de psychanalysant. Un sujet qui sort de psychanalyse devient sujet, un sujet qui devient psychanalyste et qui abandonne sa psychanalyse deviendra, tôt ou tard, analyste. La position de sujet barré consiste à se faire pénétrer au quotidien par la castration. S’introduire la barre de la castration est propre à la position féminine. L’intention est de ne pas laisser le manque produit à la sortie de sa psychanalyse se boucher, tel le trou au lobe de l’oreille, par l’Imaginaire.
La figure ici montre l’appareil psychique. Il est rempli par l’inconscient. La bande en couleur jaune est ce qui caractérise toute la vie d’un être humain, parlant, castré, occupant la position de sujet ou de sujet barré. Elle, la vie, circule entre son être en violet (¨..), à gauche, jusqu’au Moi (a, en vert à droite), en passant par les organisations intramoïques (la résistance du Surmoi et l’Autre non barré). En d’autres termes, l’être n’a pas d’accès à l’inconscient. L’inconscient nourrit les organisations intramoïques, le Moi ou le Surmoi de libido, mais la totalité du parcours humain se limite à la bande jaune. Ainsi, il est possible de justifier la médiocrité du Moi, l’hypothèse de Dieu, l’abrutissement du Moi et sa volonté de puissance. Mais en fin de compte, c’est la médiocrité qui caractérise l’être humain, indépendamment de sa nationalité, de sa religion. Il n’existe pas de décivilisation pour les humains : c’est la civilisation ou la barbarie.
Ce matin, une petite fille attendait pour traverser la rue de Maubeuge, quand le feu passa au vert pour les piétonts, un bobo parisien, ces êtres qui font attention à leur style et qui sont respectueux de l’environnement, passa en bicyclette sans prendre soin de cette enfant. Le Moi de cet être bobo n’est pas moins aliéné que le Moi qui veut imposer cette idéologie triste qu’est la musulmane dans les villes du pays. De l’irrespect de l’enfant à la volonté de conquête, qu’elle soit du président russe ou du cerbère d’Allah, l’être circule toute sa vie dans la bande colorée en jaune.
Toutes ces inventions, les religions, les idéologies, la science, les maladies, restent dans le registre de la bande jaune.
Mais une distinction s’impose : les religions, celles où l’être s’adresse à son Dieu sans exiger de preuves de l’existence de ce dernier (donc Dieu ici est une hypothèse de travail, voire de distraction), servent à apaiser l’être d’être dans le monde ; les idéologies, elles, sont des armes de haine pour le Moi, les catholiques au Moyen-Âge, les musulmans aujourd’hui. Ce qui caractérise ce Moi-là, c’est la tristesse : rien de plus triste qu’un habit musulman, incomparable à la tenue de ces femmes africaines qui portent leur joie dans la couleur de leurs habits. Il faut de la culpabilité pour s’habiller tristement, qu’il s’agisse d’un bobo parisien ou bien d’un adepte d’un prophète qui prophétise la haine de celui qui n’est pas de sa tribu. Et pendant ce temps, des députés aliénés hurlent à l’Assemblée nationale, sans poésie. Comme si Victor Hugo n’avait jamais représenté ce lieu sacré de la République. Tenue sans couleur, cœur sans joie. Alors, des parisiens qui s’attablent un vendredi soir sur les terrasses et qui vont à un concert de musique au Bataclan, pour l’envieux, pour celui qui a été éduqué dans la haine, la frustration et le mépris du mécréant, même si ce sont ces derniers qui les logent, les éduquent, essayent de les civiliser, ceux-là ne méritent que d’être détruits, et dans le dos. Rien de moins élégant que de se battre à armes inégales, avec quelqu’un de désarmé, ou à terre, ou plus fragile. Le Moi attaque toujours les plus faibles (enfant, homosexuel, femme) ou en groupe contre un seul. La science sert à occuper le Moi sans que le scientifique puisse prendre en compte les conséquences de ses recherches. Regretter d’avoir énoncer le résultat de sa découverte ne rend pas l’être moins responsable de son acte. Les maladies doivent être interprétées par le médecin comme un appel de l’être à construire son existence, même si cet appel est maladroit. En interprétant de cette manière, le médecin installe la cônification du transfert, en adressant ainsi le malade au psychanalyste. Sans cette interprétation, le médecin arrête le processus de construction de la possible subjectivité puisqu’il traite l’être en organisme malade, victime de la génétique ou d’une dysfonction biologique.
Est-il possible d’aller au-delà de cette bande jaune ? Je ne le pense pas. Il y a des êtres qui se sont démarqués, humainement, éthiquement de la populace moïque, je pense à la vie de Jésus, à la vie de Marie Curie, à la vie de Simone Veil. Des milliards d’êtres ont déjà vécu sur cette planète et je ne suis pas capable d’identifier quelques existences dignes de la position de sujet. Ou bien l’être humain est véritablement minable et indigne parmi les mammifères vivants, ou bien je me trompe dans mon interprétation. Cela dit, la psychanalyse, en proposant à l’être de devenir sujet, et si l’être décide d’occuper la position de sujet barré et d’ainsi construire son existence, rend possible d’envisager des sujets humains dignes. Ce qui, pour l’heure, depuis l’apparition de l’homme sur cette planète, n’a pas été le cas.