Impeccable
Pour une psychanalyse scientifique (II)
Fernando de Amorim
Paris, le 20 octobre 2023
Un modèle en psychanalyse est ce qui est utilisé par l’analyste lacanien et par le psychothérapeute d’orientation psychanalytique, voilà ce qu’il est possible de constater à partir des discours des membres de l’IPA. En interprétant le discours du patient, le praticien fait appel à son Moi, ce qui produit une interprétation imaginaire et non la bonne interprétation – à savoir, l’interprétation symbolique, celle qui vient de l’être associé à l’Autre barré (Ⱥ). Il n’existe pas d’interprétation réelle. Il existe des interprétations du Réel qui, comme je l’ai évoqué plus haut, peuvent avoir le qualificatif d’interprétations imaginaires ou d’interprétations symboliques.
Il me semble que la psychanalyse a suffisamment de maturité (et cela grâce à Jacques Lacan) pour proposer que l’interprétation (hypothèse) vienne de l’être en construction de sa subjectivité – l’autre nom du psychanalysant. Dans la position de sujet, à la sortie de sa psychanalyse, ce dernier pourra expliquer (théorie) comment s’est constitué son symptôme et pourquoi il a pris la décision de prendre cette voie libidinale pour avoir une assise symbolique et imaginaire dans sa vie biologique. Une telle logique ne se trouve que pour les êtres qui traversent une psychanalyse.
Le psychanalyste n’a pas à expliquer la libido, comme le biologiste n’a pas à expliquer la bactérie ou le physicien l’atome. L’objet est là et il faut faire avec. Ces objets (libido, bactérie, atome) sont des matérialisations du Réel. Comment faire pour étudier ces objets et les rendre utile à la vie des êtres humains ? Le religieux transforme la matérialisation du Réel (pluie torrentielle, épidémie, psychose) en autant d’expressions du désir du dieu ; dieu méchant évidemment, l’autre nom de l’Autre non barré (A). Le scientifique explique que la pluie est l’effet du changement de température, que l’épidémie est due à une bactérie, que la psychose est due à la forclusion du Nom-du-Père dans une période particulière de la vie humaine que Freud avait nommée œdipienne.
Le psychanalyste n’a pas à expliquer l’origine de la libido, comme le cosmologiste n’a pas à expliquer l’origine de la planète Terre. S’ils faisaient cela, ils glisseraient dans ce que j’appelle l’interprétation imaginaire.
Le psychanalyste n’a pas à expliquer l’origine de la libido puisqu’elle fait partie du champ de l’impossible. C’est pour cette raison que je fais appel aux accolades mathématiques et au poète qui écrit « Subitement, une angoisse » – à lire :
{… une angoisse}
Quelqu’un qui a déjà vécu une telle expérience sait que cela se passe comme ça. Sans crier gare, voici que le Moi se trouve dans une détresse innommable. Innommable jusqu’à l’intervention du psychanalyste. Il faut bien le dire, n’en déplaise aux philosophes et aux oiseaux de mauvais augure qui n’ont que la formule « pas scientifique ! pas scientifique ! » au bec lorsque le mot psychanalyse est susurré à leurs oreilles.
Le psychanalyste ne doit pas être inhibé par le fait de faire de la recherche. Pour cela, il peut faire l’hypothèse que la maladie organique, le symptôme corporel, ainsi que la souffrance psychique, sont des signalements que l’être fait à son Moi qu’il est grand temps de revoir le contrat qui les unit depuis ses premiers signes de vie, même s’il s’agit de la vie intra-utérine. L’être aristotélicien et le Moi sont intimes depuis que ce dernier a été mis en place pour déchiffrer le monde pour le premier. Le problème est que le Moi se prend désormais pour le maître de la demeure. Une telle attitude est très habituelle pour le Moi humain : il rentre dans votre jardin, vous ne dites rien, le lendemain il vole vos fleurs, vous ne dites rien, il tue votre chien, vous ne dites rien, il s’assoit à votre table, vous êtres toujours silencieux. Il vous tue et vous ne pouvez définitivement plus dire quoi que ce soit.
Le Moi ne prend soin ni de l’être, ni du corps. Ce que la psychanalyse apporte comme visée à l’être humain c’est qu’il construise sa responsabilité de conduire aussi sa destinée. Or, il ne peut pas entreprendre une telle opération parce qu’il a signé avec le Moi dès le début de sa vie extra-utérine. Pour devenir sujet, il lui faut s’engager avec l’Autre barré. C’est ce que propose le voyage maritime psychanalytique.
Si pour le physicien les mathématiques sont des instruments utiles, pour le psychanalyste, en revanche, la méthode d’association libre – méthode pour l’être dans la position de malade, patient ou psychanalysant, technique pour le clinicien dans la position de psychothérapeute ou supposé-psychanalyste – ainsi que les techniques de rectification et de propulsion de la cure (technique de l’écarteur, d’examen de la certitude) ne sont pas encore des instruments utiles. Parce que le psychanalyste ne sait pas en faire usage. Il ne sait pas encore les utiliser parce qu’il n’est pas encore psychanalyste. Il est analyste, psychiatre-psychanalyste, psychologue et psychanalyste. Pour rectifier cette position, je lui avais proposé de retourner sur le divan. Comme il ne s’aime pas, n’aime pas son désir, n’aime pas la psychanalyse, il a refusé ma proposition, la considérant absurde. Je tiens à mon hypothèse, à savoir, que le psychanalyste une fois reconnu comme tel, doit continuer sa psychanalyse personnelle pour protéger son être de son Moi, protéger la psychanalyse et surtout le psychanalysant car celui-ci paye pour que la conduite de sa psychanalyse soit rigoureuse, c’est-à-dire, impeccable scientifiquement parlant.
C’est le respect de la route – dans son sens maritime – scientifique qui rend l’opération scientifique. Si l’être cède sa place à son Moi, le résultat de l’opération à visée scientifique ne s’obtiendra plus. C’est ici que je situe la médecine avant Hippocrate, la chirurgie de Serge Voronoff ou la psychokinèse de Joseph Rhine.
La physique ne s’intéresse pas à des objets simples mais à des objets inanimés. La psychanalyse quant à elle, opère dans un champ où le désir est son objet d’étude ; désir qui peut se transformer en pulsion quand le psychanalysant passe à l’acte ou que la pulsion se transforme en libido quand, pendant la cure, la psychanalysante découvre qu’elle a un cancer. Une telle hypothèse exige d’abord que la conduite de la cure par le clinicien soit mise hors de cause. D’où l’impératif – je le répète mille fois s’il le faut – que la conduite de la cure soit impeccable. Mais pour cela – mille fois je le répéterai – le psychanalyste ne doit pas céder sur son désir, comme avait fait Lacan, l’auteur de cette formule puissante. Il doit continuer sa psychanalyse personnelle.
Dans une psychanalyse tout bouge tout le temps, comme dans le milieu aquatique. Quelques coquins, se croyant plus malin que les autres, sélectionnent les patients avant de les accepter en cure. Leur idée est de faire science. En fait, ils ne font ni science ni psychanalyse. Ils montrent simplement que leur lâcheté, additionnée à quelques gouttes d’incompétence, a l’intention de maîtriser le Réel. Peine perdue. Qui sort perdant de ce calcul ? Comme d’habitude, c’est le psychanalysant.
Le psychanalyste fait science par sa rigueur à utiliser la méthode psychanalytique, ses techniques et en adaptant l’instrument de son action, son écoute, sa parole, son corps, à l’objet qui se présente à lui. À quel moment lever la séance lacanienne ? À quel moment parler ? À quel moment toucher le corps du psychanalysant ? À quel moment utiliser son corps pour se mettre au niveau de l’autre ? Un enfant apporte ses jouets. Il m’invite à conduire un train pendant qu’il conduit sa voiture. Je m’assois sur le tapis, il est allongé, ses parents sont assis nous regardant. Est-ce possible de participer au monde de cet enfant en restant assis sur le fauteuil ? Le clinicien se doit-il de descendre dans l’arène de la clinique, que ce soit pour refuser le suicide ou pour participer à la construction symbolique d’un enfant ?
Je prête mon corps au jeu pour que l’enfant puisse effectuer le travail d’association libre. Il est arrivé avec un diagnostic d’autisme. L’équipe médicale d’un hôpital parisien, au contraire de remarquer les effets du désir de sa mère que son enfant ne soit pas exclu de l’ensemble social, ainsi que le désir de l’enfant de grandir et le désir du psychanalyste de naviguer avec eux, vient de changer de diagnostic : l’enfant n’est plus autiste, il a un « autisme minime ». La psychanalyse est une fausse science disent ses joyeux détracteurs, mais les cerbères des critères du DSM, cette génération de psychiatres qui sont dans nos hôpitaux, sont des scientifiques ! Qui, des déèsémistes et du psychanalyste, fait science ?
Au début de la psychanalyse, Freud avait utilisé des mots courants de la langue – Unbewusste, Verdrängung, übertragung – ; aujourd’hui, la psychanalyse n’est plus la jeune science que voulait Freud, elle n’est plus ce qu’il serait possible de qualifier de jeune. Donc ce qu’était le langage commun est devenu une terminologie extrêmement technique. Quand j’évoque la mer d’Œdipe, je vise à transporter la psychothérapie et la psychanalyse conduites par un psychanalyste dans un milieu aquatique puisqu’il est possible de cerner ce qu’est une psychanalyse si le clinicien se met dans la position de marin et non de terrien. Cette dernière position est celle qu’il occupe depuis Freud.