Fernando de Amorim
Paris, le 18 mai 2020
Trenet chantait la bonne planète. La bonne route, ici, fait référence à ce qu’il est possible de faire, grâce à des interventions de l’Autre barré et de l’Autre barré prime, pour que le bateau nommé psychanalyse arrive à bon port ou à bon mouillage, avec, à son bord, l’équipage, à savoir, le psychanalysant et le clinicien dans la position de supposé-psychanalyste.
La castration est le produit final d’une opération psychanalytique portée par l’être, par l’Autre barré (Ⱥ), locus du signifiant, et l’Autre barré prime (Ⱥ’), position occupée par le supposé-psychanalyste. Cependant, pour y arriver, quelques dispositifs dynamiques sont requis pour conduire et maintenir la cure sur la bonne voie, celle de la castration, car seule cette voie amène l’être à bon port, indépendamment de sa structure, qu’il s’agisse de la névrose, la psychose ou de la perversion.
La ponctuation du clinicien précise le sens de la phrase, fruit de l’association libre du psychanalysant. Elle peut aller d’un appuyé « C’est cela ! » du clinicien, à un kiai – cette technique des arts martiaux qui indique que le son engage le corps et l’action de celui qui l’exprime – émis aussi par le clinicien. La ponctuation sert à pousser vers l’avant le bateau de la cure, mais elle ne rectifie pas la direction de la cure. Quand le clinicien fait usage de la ponctuation, il accentue ce qui est dit par le psychanalysant. Cette ponctuation pousse l’être à couper la relation imaginaire qu’il nourrit avec l’autre, son semblable. La suspension est une forme de ponctuation.
En répétant le mot, comme dans le cas de la scansion, le clinicien vise à faire en sorte que le Moi entende ce qui sort de sa bouche car, ce qui sort de sa bouche vient de l’Autre barré. Ainsi, une patiente mélancolique se plaint que son compagnon veuille « l’engrosser » alors qu’elle voulait dire « engraisser » : le mot répété au vol par le clinicien sera recueilli et transformé en désir assumé par l’être puisque rapidement elle attendra un enfant. La stratégie, dans la scansion, est que le Moi du psychanalysant entende un autre discours que celui de l’évidence de ses dires. Si la ponctuation pousse la cure en avant, la scansion rectifie la direction de la cure.
Quant à l’interprétation, elle est une intervention de l’Autre barré (Ⱥ). Quand l’Autre barré prime (Ⱥ’) – l’autre nom du clinicien dans la position de représentant de l’Autre barré – intervient, il y est autorisé par les associations libres du psychanalysant. Pour la sécurité de la direction de la cure, le clinicien sollicite du psychanalysant la validation ou non de l’interprétation. Si le psychanalysant est d’accord, la cure est sur la bonne route maritime, si l’intéressé n’est pas d’accord, l’interprétation du clinicien part à la poubelle et le psychanalysant reprend ses associations libres.
La coupure, est une incision faite par un instrument tranchant qui produit l’effet de perte pour le Moi de son Imaginaire. Une interprétation vraie, l’interprétation symbolique, est une forme de coupure.
La figure ci-dessous n’est pas un vrai nœud borroméen :
Et cela parce que les ronds sont simplement superposés. Du traitement moral à la psychothérapie avec psychothérapeute, il n’y a pas de castration, parce qu’il n’y a pas de coupure.
Pour qu’il y est interprétation vraie, le Symbolique perce l’Imaginaire.
En perçant, avec l’aiguille de la castration l’Imaginaire, cette opération produira un entrelacement entre le Symbolique et l’Imaginaire ; entre eux d’abord puis avec le Réel. C’est à partir de cette opération que le Symbolique produira la fluidité signifiante qui construira la subjectivité dans un premier temps, fera naître la position de sujet castré dans un deuxième temps (sortie de psychanalyse) et, enfin, déclenchera l’action caractéristique de la position de sujet barré, qui est celle de construire son existence.
Il faut donc deux coupures, celle de l’Imaginaire et celle du Symbolique pour qu’il soit possible de construire un nœud borroméen :
Le Réel n’est jamais coupé, il est interprété, imaginairement la plupart du temps, et symboliquement beaucoup plus rarement. Copernic, Darwin, Freud, ont proposé des interprétations symboliques – théories – du Réel.
Il faut de la coupure pour que l’être vivant puisse entrer dans le monde symbolique. Coupure du cordon ombilical, ainsi que coupure d’avec son aliénation imaginaire, qui est propre au Moi. Mais qui dit coupure dit couture. L’être coud son nœud borroméen avec une pince à linge, comme dans la figure ci-dessus, mais avec d’autres instruments inventés par l’homme : aiguille, trombone, pince de Kocher ou pince à clamper, mais tout aussi bien avec un mariage, un emploi, la paternité, la maternité, l’achat d’une maison.
Le clinicien peut se voir confronter à la coupure dans la réalité, dans le cas où le clinicien se voit dans le devoir de mettre un terme à la cure. Cela parce que l’être, aligné au Moi, ne montre pas le désir de continuer à ramer pour faire avancer le bateau de la cure : en ne payant pas les séances, en étant irrespectueux, en commettant des délits. Cette coupure n’est pas un abandon de la part du clinicien, mais une stratégie qui vise la castration car, le Moi coupe avec le Symbolique pour maintenir l’Imaginaire sans coupure. La coupure provoquée par l’être lui-même s’opère quand il coupe le registre de l’Imaginaire pour faire passer le Symbolique. Cette opération se caractérise par la coupure d’un amour ou une amitié sans avenir. La coupure Symbolique est attendue à la sortie d’une psychanalyse avec des effets dans l’Imaginaire : la prise de distance d’avec sa famille.
La coupure Imaginaire est provoquée par le Moi et se caractérise aussi par l’abandon de la cure sans l’accord du clinicien.