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Interview

Interview

Fernando de Amorim

Paris, le 1 février 2021.

Il y a quelques années de cela, mon camarade, le Docteur Guillaume Barucq, médecin à Biarritz, m’avait sollicité sur son site, pour une articulation entre surf et psychanalyse (https://www.surf-prevention.com/en-quoi-la-pratique-du-surf-peut-elle-etre-benefique-au-psychisme-de-l-individu–9-interviews.php).

À ce moment, pris dans un élan interprétatif j’avais écrit une poésie :

« Le surfeur tourne le dos au monde ! ». La visée était de montrer le dépouillement du Moi qu’exige la pratique du surf et parce que le surfeur en attendant les vagues, prête attention au mouvement des houles et non au mouvement des courbes des corps qui bronzent.

Ensuite une autre idée humoristique m’avait traversée l’esprit, et comme la religion catholique est devenu civilisée, surtout depuis 1905, donc que je ne risque pas de me faire égorger, je suis arrivée à la conclusion que :

« Jésus ne marchait pas sur l’eau (Mt, 14, 22-23), il faisait du longboard ».

Tout cela dans l’eau, le temps d’une session de glisse. C’était une journée avec des vagues magnifiques.

*

La semaine dernière, une jeune dame m’avait appelé pour me faire parler de la situation sanitaire en m’appuyant sur ce papier demandé par Guillaume quelques années auparavant.

Sans hésiter un seul instant, je lui avais donné rendez-vous cinq jours après.

FdeA : Combien de questions avez-vous à me poser, Madame ?

Dame : Au fil de la discussion…

FdeA : Ah non ! Vous voyez bien qu’il y a une salle d’attente qui ne désemplit pas !

Dame : Vous avez combien de temps à me consacrer ?

FdeA : Vous avez pensé à quelle durée ?

Dame : Dix, quinze minutes…

FdeA : Ça va si ce sont dix minutes ?

Dame : Oui, très bien. Est-ce que vous donnez des conseils particuliers ?

FdeA : Je ne donne pas de conseils.

Dame : Les bienfaits psychologiques que le surf pourrait avoir… Mais si vous me dites que personne n’a de vague à l’âme en ce moment…

FdeA : Je n’ai pas dit que personne n’avait de vague à l’âme

Dame : Alors quel conseil donneriez-vous…

FdeA : Mais, je ne donne pas de conseils.

Dame : Ah ! Alors comment définiriez-vous le vague à l’âme qu’il peut y avoir en ce moment ?

FdeA : Qu’entendez-vous par vague à l’âme ?

Dame : Une certaine morosité…

FdeA : Oui, mais « vague à l’âme » et « une certaine morosité » ne casent pas avec le surf. Comment comprenez-vous que vous unissiez « vague à l’âme », « morosité » et « surf » ? Le surf est tout à l’opposé de ça ; le surf c’est une danse : il y a le surfeur, celui qui va se rencontrer avec le réel, l’impossible océan. Le Réel, pour Lacan, c’est l’impossible. Donc, le surfeur est confronté à ce Réel incontrôlable, exactement comme ce qui se passe en ce moment avec la COVID-19, où nous n’avons aucun contrôle sur le Réel. Le virus c’est l’incarnation même d’un Réel que l’être humain ne contrôle pas. La différence c’est que les gens ont toujours l’idée qu’ils sont maîtres chez eux. Or, ils ne le sont pas, pour preuve le virus s’introduit, s’impose et tue les gens et pendant ce temps-là il y a toujours ceux qui sont dans la situation de penser qu’il n’y a pas de problème, que le masque est inutile, tout comme est inutile de se laver les mains, ainsi que toutes les consignes données par le Ministère de la Santé. Au moment où nous sommes en train de parler, je ne porte pas de masque car vous en portez un et qu’il y a une distance convenable entre nous. Mais quand je reçois des nourrissons ou des bébés ici je porte un masque en prenant la précaution de, d’abord, montrer mon visage à bonne distance puis, ensuite, je mets le masque afin qu’ils ne puissent pas avoir peur. Il s’agit d’une adaptation au Réel, comme un surfeur. Le surfeur s’adapte. Il n’y a pas de morosité dans la pratique du surf. Ce que vous décrivez-là ne correspond pas à ce que nous sommes en train de vivre. La morosité que vous évoquez est une morosité qui était déjà là, avant la pandémie.

Parmi les êtres, dans le sens d’Aristote, quelques-uns savent qu’ils n’existent pas et avec le Réel, ils s’en rendent bien compte. Pas tous, bien sûr. Il y a ceux qui pensent que la faute est au gouvernement, que la faute est à Dieu. Le Réel est ce qui vous tombe dessus, sans préavis. C’est cela un virus : il vous tombe dessus et vous ne savez pas quoi faire. Maintenant il y a des procédures mises en avant par le Ministère de la Santé et le vaccin – dû à une compétence scientifique – est déjà là. Mais quelques-uns – qui se complaisent dans cette aliénation – proclament qu’ils ne veulent pas être vaccinés et ce pour mille raisons, mais mille raisons imaginaires. L’être humain est structurellement aliéné et il est confronté au Réel qui se fiche complètement de savoir si l’être humain est aliéné ou non, le Réel possède l’espace. Ce sont les êtres qui sont les envahisseurs du champ du Réel. C’est dans ce sens là qu’il faut entendre le « tu redeviendras poussière » (Gn. 3, 19).

Quand je parle de Réel, de Symbolique et d’Imaginaire je fais référence à ces trois registres, je m’appuie sur la théorisation de Jacques Lacan, qui a mis en évidence ces trois registres.

Le Réel c’est l’impossible : on ne peut le saisir ; mais l’être humain, aliéné par structure, fait semblant que le Réel n’existe pas. Or, un surfeur ne peut pas faire ça, il se doit d’être toujours éveillé. S’il n’y a pas de vague, un surfeur n’entrera pas dans l’eau. Il entrera s’il y a des vagues, et des belles vagues.

Dame : Donc, lui a conscience du Réel ?

FdeA : Oui.

Dame : Mais parce que vous disiez que structurellement on était aliéné ?

FdeA : Ah oui ! Mais un surfeur n’a pas le droit d’être aliéné quand il est dans l’eau. Un surfeur n’a pas ce droit-là. Un être dans la position de surfeur, pendant qu’il est en train de surfer, n’a pas droit à l’aliénation structurelle de son Moi. Le surfeur doit être très éveillé, et c’est un état d’esprit très joyeux.

Dame : Est-ce que cet état d’esprit, on peut le retrouver dans la vie de tous les jours mais sans surfer ?

FdeA : Bien sûr !

Dame : Comment ?

FdeA : Par exemple, je suis surfeur, je ne peux pas aller à Biarritz tous les jours mais pourtant je pratique le surf toute la journée.

Dame : Mais comment ?

FdeA : Quand je fais ma gymnastique. Tous les jours, quarante minutes pour être prêt quand j’irai surfer, et j’irai en août durant trois semaines. Avant cela je me prépare : je fais mon sport en pensant au surf et d’ailleurs le type de sport que je pratique dans mon salon depuis le confinement c’est du surf ; je suis parisien donc je fais de la bicyclette, eh bien, je fais du surf puisque je m’équilibre, je recherche toujours l’équilibre. Ainsi lorsque le feu est rouge je m’arrange pour ne pas poser le pied à terre ! Je m’équilibre, c’est du surf. Quand j’éduque mes enfants : c’est du surf ! Je ne vais pas à la confrontation, j’esquive. Quand je suis avec mon épouse et que je lui fais l’amour : c’est du surf ! Quand je suis avec les patients : c’est du surf !

Dame : Ça n’est donc pas que physique, c’est tout un état d’esprit ?

FdeA : Exactement. C’est un état d’esprit ; un surfeur surfe tout le temps dans sa tête, dans son corps.

Dame : Quand vous dites « il surfe dans sa tête », car on imagine bien ce que c’est que surfer physiquement, quand vous parlez du vélo j’imagine bien aussi en quoi il y a des points communs avec le surf, mais « dans la tête » ?

FdeA : C’est une danse, le surf est une danse, un équilibre. Quand on avait la possibilité d’aller à des soirées, avant le confinement, les gens me demandaient pourquoi je ne dansais pas. Je leur disais que j’étais en train de danser dans ma tête, même si je semblais m’occuper à boire ma bière à leurs yeux. Je trouve du surf chez Mozart, comme chez Freud. Le Surf c’est un état d’esprit.

Aujourd’hui nous avons un gouvernement sous la présidence de Monsieur Macron, Dieu merci que c’est lui et pas un autre. Il y a eu un homme pour traiter Madame Macron de vieille, c’est indélicat, indigne d’un Président de la République qui qualifie une dame de vieille. Brigitte Macron c’est une surfeuse : une femme qui cède au désir d’un homme ! Un surfeur, ou une surfeuse, ne résiste pas à la vague. La preuve que c’est une femme de désir c’est qu’elle est encore là avec cet homme !

Parce qu’il y a des rencontres pour baiser uniquement ce qui, une fois fait, la hâte est de partir en courant. Ce n’est pas du surf cela ! Maintenant nous sommes dans une société qui nous dit que l’on surfe sur internet : c’est nul. Maintenant aussi on nous parle de surf de neige : c’est du n’importe quoi. On ne surfe pas dans la neige où on est remonté par un truc mécanique, c’est du ski mais pas du surf. Dans la pratique du surf, l’être regarde depuis la plage où il va entrer dans l’océan, il étudiera quel est le rythme des vagues et il va attendre un intervalle, il va ramer et quand la vague vient vers lui et qu’elle va casser, il plonge avec sa planche et quand il refait surface après avoir évité cette puissance et avoir retrouvé le sens de la verticalité pour aller reprendre son souffle, déjà une autre vague s’approche. Le surf est très intime de la mort.

Je ne joue pas avec le feu, je danse avec.

Dame : C’est un état d’esprit aussi ?

FdeA : Un état d’esprit aussi, état qu’a Brigitte Macron, qu’a Emmanuel Macron, qu’a le gouvernement, Edouard Philippe et Castex maintenant, Véran notre ministre de la Santé ; tous ces gens-là sont des surfeurs : face à la difficulté, il y a des équilibres et c’est cela danser, esquiver ; il n’y a pas de masques, on va se débrouiller, il n’y a pas de vaccins, on va se débrouiller.

Bien sûr il y a les connards de service qui ne sont pas au pouvoir mais qui veulent saboter l’esprit du surfeur en critiquant sans cesse. Or, évidemment que ça ne va pas ; ces femmes et ces hommes du gouvernement sont en train de s’organiser pour que nous puissions sortir de cette rencontre avec le réel de la meilleure façon possible ; ils sont en train de nous préparer pour surfer ! Surfer la vie pendant que la mort est là dans les airs. 

Quand je dis « dans les airs », il faut faire attention car je vous rappelle que je n’ai pas de masque mais le virus – jusqu’à présent – il ne reste pas trop longtemps dans l’air et je prends toujours la précaution de parler vers le bas et comme vous êtes masquée… Voilà, nous avons été interrompus j’ai couru pour ouvrir au préposé, vous me sentez essoufflé ? Ou sur le point de mourir ?

Dame : Moi je suis plus jeune et je ne fais pas ça comme ça !

FdeA : Eh bien, c’est cela le surf : il faut être prêt. On n’entre pas dans l’eau ou dans la vie n’importe comment. Et ce sera le mot de la fin.