Fernando de Amorim
Paris, le 29 octobre 2024
Une tentative de suicide n’a pas le même statut clinique qu’un passage à l’acte.
Dans la tentative de suicide, le Moi vise l’autre, son semblable ; il veut de la reconnaissance, de l’attention et, pour le dire plus franchement, de l’amour. Ceci ne signifie pas que le clinicien doive négliger cette demande d’amour désespérée. Je ne cours pas le risque de traiter la tentative de suicide comme un « chantage affectif », ce qui suppose une position méprisante ou hautaine du clinicien. La tentative de suicide peut cacher l’anguille sous roche qui poussera au passage à l’acte. Je ne cours jamais le risque de penser qu’il s’agit de « théâtralité hystérique », expression que j’avais entendue de la bouche d’un de mes maîtres.
Pour Lacan, la série, c’est du sérieux. À partir de cette remarque, j’affirme que la tentative de suicide, c’est du sérieux puisqu’il y a une possibilité pour le clinicien de saisir l’association libre, car un signifiant a produit la tentative. Le passage à l’acte, quant à lui, en suivant la boutade lacanienne, ce n’est pas du sérieux puisqu’il n’y a pas de signifiant qui a précédé ou suivi le passage à l’acte, car le Moi n’y a pas accès.
Dans le passage à l’acte, le Moi n’est plus, car l’être s’est associé aux organisations intramoïques. Je m’explique :
Dans le passage à l’acte, le Moi est emporté par le raz-de-marée de libido qui le noie. Ce sont, par exemple, les actes de personnes qui sautent d’un immeuble en flammes pour ne pas mourir brûlées ou de celles qui se tuent avant que le bateau ou le sous-marin ne soit définitivement englouti par l’eau. Le Moi vise une mort rapide, parce que la mort à petit feu lui est insupportable. Ce comportement renforce vivement une hypothèse de psychose, mais cela ne justifie pas le diagnostic structurel, même si je garde sous le coude ce diagnostic pour la confirmation au moment de l’examen de la certitude.
Écrire cela n’exclut pas que je pense que le passage à l’acte est propre au Moi psychotique, car le Moi du névrosé ou du pervers ne souffre pas de la radicalité de l’envahissement du Moi par la libido qui vient du Ça, nourrit les organisations intramoïques et se jette sur l’être. Le Moi névrosé peut faire usage de mille artifices sans pour autant abdiquer radicalement de la vie, car la libido qui vient du Ça nourrit les organisations intramoïques et tanne le Moi. Je rappelle au lecteur dubitatif que le synonyme de « tanner » est « empoisonner ». Les tentatives de suicide par médicaments ne visent pas forcément la destruction du Moi, mais expriment la haine de l’Autre envers le Moi. Le Moi pervers peut se frotter à la mort, car sa priorité n’est pas d’être en vie mais de jouir, même si cela pourrait lui coûter la vie.
Le passage à l’acte est le résultat, pour le Moi, de l’alignement avec la mauvaise rencontre, le complexe d’Œdipe non résolu – et pourtant ignoré –, la forclusion du signifiant du Nom-du-Père, l’objet a et le Rien ({ }).
Dans la tentative de suicide, le Moi a accès – pas forcément immédiatement à l’examen, mais il aura toujours cet accès – à une association libre sur les raisons de son geste, geste qui ne met pas forcément ou immédiatement toute sa vie en danger. De là l’importance de savoir s’il s’agit du Moi-grenouille de Monsieur de la Fontaine ou de l’être qui s’identifie radicalement aux injonctions de ses organisations intramoïques et qui est capable de se laisser tomber, définitivement, pour ainsi échapper à la construction de sa responsabilité de conduire aussi sa destinée, raison première d’un sujet de nourrir la vie en lui.
Dans un passage à l’acte, quand le clinicien demande, réclame, exige un motif pour son acte, le Moi ne pipe mot. La raison est qu’il n’y a pas de raison, il n’y a pas de signifiant pour accrocher la pulsion de destruction. Dans la tentative de suicide, il y a toujours une tentative d’être aimé.
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