Fernando de Amorim
Paris, le 11 avril 2025
Au DJ Mehdi, le rassembleur
À MC, le solaire
L’analyste n’aime pas la psychanalyse. Il aime Lacan. L’analyste se fout du médecin. Il pense qu’il fait de la clinique du Réel, mais, en fait, il fait de la clinique de la réalité, celle de la névrose, ce qui est très bien mais insuffisant pour se gargariser dans les amphithéâtres, dans les auditoires et aux micros des radios.
Ceci n’est pas un reproche, c’est un constat. Je n’invente rien, je l’ai entendu dire qu’il aime Lacan, pas la psychanalyse, qu’il se fout du médecin.
L’analyste confond discours médical et discours analytique. L’analyste parle. Je ne dis pas qu’il parle pour ne rien dire. J’affirme qu’il parle à son miroir. Pendant que le monde de la clinique du Réel, celle de la médecine et de ses spécialités – psychiatrie, chirurgie, celle de la maladie organique, de la psychose, de la névrose, de la perversion – tourne. Tourne sans lui, évidemment.
Il est vrai qu’il existe un discours analytique, sorte de rhétorique, de psittacisme, que bien volontiers j’orthographie psyttacisme. Les vieux répètent Lacan sans une once de réflexion ; ils citent des textes savants, de la lecture, preuve qu’ils savent lire ; ils citent de la théorie et des textes littéraires, ce qui fait que les moutons les suivent sans mot dire. Ce qui va de soi, puisqu’un mouton ne parle pas. Les jeunes sortent de la faculté en citant Lacan et Freud et en se croyant cliniciens, le tout sans aucun effort de réflexion. En un mot, à tous les âges, des marins d’eau douce. C’était Hippocrate, dans son De l’ancienne médecine, qui m’avait alerté de l’existence de ces joueurs de flûte pour souris hypnotisées.
Pour secouer ces toiles d’araignées poussiéreuses qui envoutent la psychanalyse, grâce aux analystes, j’avais récupéré l’idée de la passe chez Lacan, car je pense qu’il avait raison de mettre en place un dispositif d’examen de sortie de psychanalyse.
Il ne faut pas se foutre de la société, de la médecine, des médecins, des psychiatres, des psychologues, des universitaires. Il me semble fondamental de faire lien avec eux pour le projet freudien de civilisation de l’être humain. Ce projet est possible grâce à la construction, par Freud, d’un bateau qui se nomme psychanalyse. Ce bateau ne conduit pas l’être à travers le Styx, il le porte à travers l’océan inconscient, quand les eaux de ce dernier sont structurées comme un langage ; il le porte à travers l’océan Inconscient quand il est question de libido sans signifiant, qu’il n’y a que de la libido, comme dans le cas de la maladie organique.
Le bateau psychanalyse construit par Freud est unique ; ces arrangements médiocres de « psychanalyse lacanienne » ou de « psychanalyse kleinienne » sont du pipeau. Lacan a contribué, ainsi que Klein et d’autres, à rendre praticable le bateau qui était déjà construit à leur arrivée. Il faut rendre à César…
Ledit bateau trouve son bois, ses toiles, ses instruments, chez Hippocrate, chez Aristote, chez les premiers aliénistes.
L’analyste n’a pas uniquement horreur de son acte, comme le disait Lacan. Il hait son acte, il hait cette psychanalyse qui l’a élevé au statut de quelqu’un, socialement et même davantage.
L’analyste est vieillissant, il a déjà un pied dans la tombe. Six mois après sa mort, personne n’évoquera plus son nom. Freud, lui, est toujours évoqué. Toujours vivant.
Je veux – c’est mon désir – que l’analyste déploie ses ailes poussiéreuses. Je ne le pense pas mort. Mais pour faire circuler son désir stagné, il doit retourner sur le divan. C’est la conclusion de ma recherche clinique dont j’étais – et je suis – le cobaye.
La passe que je propose n’est pas une bizarrerie, monsieur le professeur à la retraite. Simplement, elle n’est pas le copié-collé de ce qu’a dit Lacan. Elle est le fruit d’une intelligence, d’une créativité, d’une joie, les miennes. Joie de psychanalysant.
Il est vrai que la joie, le fait d’être heureux – Freu(d) – n’est pas pour tout le monde. Tout le monde ne peut pas être freudien. Lacan a voulu l’être jusqu’à la fin de ses jours. Je pense à son discours à Caracas.
Quand je regarde au fond des yeux de tant de monde, tout est éteint. Si lumière il y eut un jour, quand je regarde, tout est sombre.
Mon travail en tant que psychanalyste est de souffler sur les cendres, avec cette espérance propre au désir du psychanalyste – ce qui est radicalement le contraire du contre-transfert, que je surnomme contre le transfert – de réveiller les endormis, de secouer ceux qui font semblant d’être morts.
Au RPH – que les méchants, les éteints, les envieux nomment « association », « association de psychanalystes », « groupement », « secte » – j’avais ajouté, le moment venu et preuve à l’appui, « – École de psychanalyse », ce qui a donné : « RPH – École de psychanalyse ». Au moment où ma transmission a commencé à porter des fruits – des sorties de psychothérapie, des sorties de psychanalyse, des mariages, des naissances, des achats de locaux de consultation, de maisons pour s’abriter, des revenus confortables et dignes d’un clinicien, un bulletin, une revue, une consultation publique de psychanalyse financée par les membres de l’École, une maison d’édition – je me suis dit qu’il fallait que je sorte du bois, comme l’avait dit quelqu’un en projetant sur l’auteur de ces lignes sa propre cachoterie envers son devoir éthique de construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.
Pour sa gouverne, je suis sorti du bois à ma naissance. Je suis né en rigolant, en chantant et en dansant. Le lecteur dira : « le vieux débloque ! ». Je répliquerai : « C’est l’interprétation de ma naissance, je l’accouche comme cela me chante. En chantant ! ». C’est l’avantage de parler et d’écrire dans la position de psychanalysant.
La psychanalyse est une voie possible pour quitter la médiocrité humaine. L’homme est médiocre en général, sans exception. La raison est qu’il est mené, tel un bœuf tiré par la mouchette, par son Moi. Son Moi le guide, il se laisse guider par cette instance d’aliénation. Concernant le bœuf, la mouchette fait l’affaire vu la docilité aliénée.
La psychanalyse indique qu’il est possible de s’éloigner – quitter est impossible, mais s’éloigner au maximum et au quotidien est faisable – de cette imposture qui consiste à vivre en faisant semblant d’y être.