La pédiatre freudienne
Fernando de Amorim
Paris, le 18 mai 2021
Avant de laisser au lecteur le texte, il me faut définir quelques concepts qui seront convoqués dans le corpus du présent papier :
* « Clinique du partenariat » : vise à proposer un traitement médical de la maladie et un traitement de la souffrance de l’être par la collaboration entre médecins et psychanalystes. Cette collaboration traite la maladie organique – comme un cancer – tout comme le symptôme corporel – tel l’eczéma – comme l’expression chez l’être d’une souffrance qui demande soin et écoute clinique ;
* « Règle fondamentale » : méthode mise en place par Sigmund Freud d’après les indications cliniques de ses patientes, surtout Mme Emmy von N. ;
* « Signifiant corporel » : le désir, dans l’impossibilité d’être dit verbalement, s’exprime par le corps, ce qui autorise le psychanalyste à examiner ;
* « Autorité du transfert » : parole du clinicien que le patient suit par confiance, comme dans le cas du respect de l’observance thérapeutique et de la cônification du transfert ;
* « Cônification du transfert » : greffe transférentielle – au nom de l’amour et du respect du patient envers son clinicien – du médecin vers le psychanalyste. Pour que la greffe prenne, il faut que le médecin puisse avoir de l’autorité et que le patient désire arrêter de souffrir psychiquement, dans son corps ou dans son organisme ;
* « Technique de l’écarteur » : processus visant à augmenter le nombre de séance pour qu’ainsi le matériel refoulé puisse être associé librement.
Le lecteur remarquera la présence insistante dans mon lexique, je m’en rends compte après relecture, des mots « clinique » et « transfert ».
Le psychanalyste ne traite pas une maladie de la peau sans avoir demandé au patient s’il a pris langue avec son médecin. Sans entrer dans la spécificité de la dermatite atopique, de Suétone à Thomas Bateman, de Ferdinand von Hebra à Ernest Besnier, sans oublier Marion Sulzberger ou Fred Wise, le symptôme dans le corps est aussi un signifiant corporel qui s’adresse à n’importe qui. Donc il faut un désir d’entendre la souffrance dans le corps. Le médecin n’a ni le temps ni la compétence pour examiner le signifiant corporel, il est formé à l’examen et à la thérapeutique de l’organisme malade. De là ma proposition de la clinique du partenariat.
Le psychanalyste opère à partir des dires du patient. Parfois sa souffrance est représentée par l’eczéma, parfois l’eczéma se déclenche pendant la psychothérapie. C’est quand le patient entre en psychanalyse et déclenche l’eczéma que j’estime qu’il faut d’abord examiner la responsabilité du psychanalyste dans un tel déclenchement. A-t-il été trop interventionniste ? Ses interventions étaient-elles maladroites ? C’est quand le psychanalyste est mis hors de cause clinique qu’il est possible de regarder du côté du patient ou du psychanalysant, et de son non-respect de la règle fondamentale (règle d’or de la psychanalyse). Parfois le patient estime qu’une pensée n’est pas à être dite car il la juge insignifiante et il finit par s’habituer à ce genre d’omissions. Puis un jour, il se plaint en séance que sa peau est sèche, qu’il a des marques rouges, des démangeaisons, suintements, épaississement de la peau avec marques de grattage. Ces symptômes d’eczéma atopique me poussent à le renvoyer chez son dermatologue, tout en mettant en place ma technique de l’écarteur.
Le psychanalyste est au service du symptôme médical et à l’écoute des associations libres du patient. Cette indication me renvoie à une anecdote lors d’une consultation commune avec une pédiatre.
Une dame, psychotique, est venue rencontrer une pédiatre qui était sensible à la psychanalyse, probablement parce qu’elle était elle-même en psychanalyse.
La dame se plaint de ce que son nourrisson a la peau très sèche. Il pleure beaucoup et sa détresse bouleverse sa mère et son père. Pendant la consultation nous remarquons que les parents ne touchent pas leur fils. Il est dans le bras de sa mère et cette dernière est complétement indifférente. Donc, au nom de l’autorité du transfert, concept qui justifie la cônification du transfert, la clinicienne prescrit ce qu’elle décrit aux parents du nourrisson comme étant une « crème spéciale qui avait donné des résultats très importants dans des cas comme celui de votre fils ! ». Et elle continue : « Vous devez, dès à présent, passer la crème sur tout le corps de votre fils. De la tête aux pieds, matin, midi et soir, tout en lui racontant ce que vous êtes en train de faire, ou en lui racontant une histoire ou en lui disant le temps qu’il fait. Le soir, c’est à vous monsieur [elle s’adresse au père du nourrisson] de passer le médicament sur le corps de votre fils. Votre épouse pourra vous aider en cas de difficulté. Venez me rendre visite dans un mois ! »
Elle termine par : « Je vous demanderai de prendre rendez-vous avec le Docteur de Amorim ici présent pour lui parler de vous, madame ! »
Ce que la pédiatre avait mise en place, je l’avais nommé cônification du transfert cette greffe du transfert du médecin vers le psychanalyste.
Une semaine après, la pédiatre m’appelle. Elle me dit que la mère vient de l’appeler : « Sebastian va beaucoup mieux. La rougeur a disparu et il dort mieux ! »
La pédiatre me dit : « Ma pommade c’est une huile pour massage dans un bocal que j’avais achetée dans une boutique spécialisée. C’est comme ça que je fais avec les mères qui ne touchent pas leur nourrisson. Je ne leur dis pas de toucher l’enfant, je leur dis de passer le médicament, ce qui revient à ce que la mère touche son nourrisson et lui fasse écouter sa voix. Je suis une pédiatre freudienne ! » Et elle éclate de rire.
Je reçois toujours la mère, elle vient trois fois par semaine en consultation. Elle est effectivement psychotique, mais elle est plus apaisée. Depuis quelques mois, elle a trouvé un emploi.
Elle est venue me rendre visite dans le cadre de la CPP – Consultation Publique de Psychanalyse – et à l’époque elle payait selon ses moyens. Aujourd’hui elle paye ses séances avec l’argent de son travail.
Il n’est plus question de son fils dans ses séances – ses séances de psychothérapie car elle n’est pas en psychanalyse. Les séances tournent depuis quelques mois autour de sa haine envers sa mère : « La vipère ! », comme elle la nomme.