Fernando de Amorim
Paris, le 7 juin 2020
Le lecteur remarquera, j’y insiste, que je ne parle pas de personnes mais bien de mécanismes psychiques parfois conscients (les parties conscientes du Moi), et surtout inconscients (les parties inconscientes du Moi, et les organisations intramoïques).
Graver son nom sur la peau, écrire le nom de l’autre, le nom de l’enfant, est l’autre nom d’une scarification colorée. Cette marque dans la chair est indicatrice de ce que le corps propre exige une couture par la douleur et par l’écriture indélébile. La première chose que je fais quand quelqu’un souhaite marquer sa peau est de lui indiquer qu’il est possible de l’envelopper symboliquement avec des signifiants. Cette opération représente le passage de l’organisme au corps pour l’être humain.
Ne pas vouloir que son bourreau aille en prison et, ainsi, se voir séparée de lui, ne doit pas exclure la piste de déclenchement de la psychose chez la victime. La meilleure manière d’examiner la structure des agents d’un passage à l’acte est de séparer les protagonistes. Comme indiqué plus haut, le Moi jaloux agresse le sexe différent du sien dans un premier temps, pour ne pas reconnaître son désir envers le même sexe que le sien dans un troisième temps, de là son agressivité envers le même sexe que le sien dans un deuxième temps. Enfin de compte, ce qui se dévoile c’est le phallus du Moi maternel ainsi que ses organisations intramoïques. C’est cette rencontre qu’évite à tout prix le Moi jaloux. Au point même de se suicider. Ce suicide vient indiquer non la structure paranoïaque mais la structure schizophrène de l’être.
Le féminicide ne doit pas être lu comme un bourreau et une victime, mais comme deux Moi agissant sous l’emprise de leurs organisations intramoïques respectives. Cela n’exonère pas la culpabilité du tueur ni sa responsabilité Cela exige un examen psychanalytique approfondi. Les conséquences de cette culpabilité seront le résultat de cet examen. La responsabilité de son acte sera une décision de justice.
« Pourquoi elle [l’agressée] n’est pas partie plus tôt ? Mais pourquoi elle le plaint [l’agresseur] ? ». Pour répondre à cette question, il faut quitter la lecture sociale, économique, religieuse, familiale et il faut s’engager dans le champ des organisations intramoïques. Je n’exclue pas les lectures évoquées, mais, sans examiner la jouissance tirée par le Moi, son aliénation, son regret d’être en vie, l’incapacité de l’être à construire son existence, il est difficile d’arriver à prévenir et contenir la pulsion de destruction car elle est au cœur de l’affaire pour les deux Moi en question.
Se taire n’a jamais été une preuve de prudence. La journaliste pense qu’il s’agit de prudence dans le cas de Laetitia. Je pense qu’il s’agit d’activité. Que cette activité soit consciente ou inconsciente cela sera tranché après l’examen de la jouissance que le Moi retire à rester dans une telle situation, que ce soit l’homme ou la femme. Laetitia représente ici toutes les femmes en vie qui vivent une telle situation. C’est à elles que je m’adresse.
Une partie du Moi de dire : « Julien me manque… ». Quand l’autre dit, dans la même phrase, « … même si je ne lui pardonnerais jamais ». Quelle issue ? Seule la mort peut mettre en terme à une telle détermination moïque.
Après avoir reçu plusieurs coups de couteaux de son époux, la dame agonisante dit à la gendarme «[ça surprend Lucie, une telle poigne alors qu’elle est agonisante sur une civière] : « Tu diras que je pense à mes enfants. ». Et la journaliste de conclure : « Elle mourra quelques heures plus tard à l’hôpital ».
Le féminicide n’est pas héréditaire, c’est un héritage, il est du champ de l’imaginaire. Les derniers mots de cette mère pour ces enfants [un garçon et une fille], les préparent à une destinée de malheur. La psychanalyse apprend à l’être à construire son existence sans compter avec l’identification à l’Autre non barré et sans compter avec une quelconque identification au Moi fort parental.
En se suicidant, l’époux signe le diagnostic de schizophrénie. Les traits paranoïaques venaient brouiller les pistes de sa vraie structure. Son Moi aligne l’absence provoquée par l’assassinat de son épouse (assassinat dont il est bel et bien l’auteur), au manque du signifiant du Nom-du-Père et sa forclusion et, enfin, à la perte de l’objet a, objet vécu un moment et perdu à jamais. La conclusion en est le passage à l’acte schizophrène par le suicide.
La gendarme affirme que « le crime de genre ne fait pas de doute ». Je ne partage pas ses dires. Il faut la preuve clinique et cette preuve il n’est pas possible de l’apporter puisque les deux protagonistes sont décédés. En revanche, il est possible de viser la prévention. Sans prétention.
Quand l’avocate indique que son client n’a bénéficié d’aucun suivi après sa condamnation, je pense que c’est par cette voie qu’il est possible d’être plus efficace. Mais pour cela, il faut que les avocats ne se contentent pas de demander des attestations de présence aux psychistes en affirmant que leurs clients ont bien vu le « psy ». C’est pour contrer une telle mollesse que, au sein du RPH, aucun clinicien ne donne des attestations. Si l’être vient en consultation c’est pour une psychothérapie avec psychanalyste ou même pour une psychanalyse, et non pour attester de leur aliénation, avec la complicité du psy et de son avocat.
Jusqu’à présent, j’avais étudié la relation du Moi et sa tentative de matérialiser sur un autre, son semblable, les organisations intramoïques, à savoir, l’Autre non barré et la résistance du Surmoi. Si l’Autre non barré est le bras verbal de la résistance du Surmoi, s’exprimant par des insultes, menaces et humiliations, la résistance du Surmoi est le bras armé de l’Autre non barré qui s’exprime sous forme de coups, puis d’agressions allant jusqu’au meurtre.
Pour quitter la position de victime, une femme, dans les cas d’agressions et violences domestiques, doit, dès la première menace, tapette, claque, coup, prendre ses affaires et partir. Si elle ne fait pas cela, elle laisse la porte grande ouverte à la jouissance de ses organisations intramoïques ainsi qu’à la jouissance du Moi fort de son partenaire. Tout argument – « Je reste parce que je l’aime ! », « parce que c’est le père de mes enfants », « Je reste pour mes enfants ! », « parce que quand il n’est pas bourré il est bon », « parce que j’ai peur qu’il se suicide » – est fallacieux. En d’autres termes, les Moi tirent bénéfice. Seule une psychanalyse pourra révéler à l’être sa responsabilité à laisser la barre de sa vie entre les mains du Moi.