Le fantasme dans la conduite de la cure
et dans la sortie d’une psychanalyse
Fernando de Amorim
Paris, le 30 janvier 2020
Le fantasme chez Freud se dit Phantasie. En allemand, ce mot indique l’imagination. Le lecteur remarquera qu’imagination en français peut être traduit par Fantasie en allemand. Au contraire de me battre avec la langue, je préfère l’intégrer dans ma réflexion. Ainsi, il me semble, grâce aux avancées proposées par Jacques Lacan, que je puisse défendre l’idée que le fantasme a un lien dans l’imaginaire et dans le symbolique pour lire le réel. Le lien avec l’imaginaire est une évidence, mais c’est la présence gênante du symbolique dans le fantasme qui pourra sortir le moi de sa misérable condition d’instance aliénée et donc aliénante. En d’autres termes, face à la vie représentée par le réel (R), face au semblable (a’), à l’Autre barré du verbe et du désir (Ⱥ), le moi construit des hypothèses, des conclusions, des convictions, voire des certitudes, souvent trompeuses, parfois erratiques, certainement loufoques.
Le fantasme est une construction du moi pour lire son monde, et son monde est l’Autre. Bien évidemment, cette construction est déformée, et elle se développera pour le reste de l’existence de l’être de cette manière. Face à la souffrance inévitable qu’une telle position provoque, des techniques psychothérapeutiques, de dressage du moi, du moi fort ont été créées par d’autres mois, ces derniers dans la position de psychologue, psychiatre, psychothérapeute et plus récemment sous forme de technique cognitivo-comportementale. Tentative de l’Autre – ici sans barre – pour ajuster le moi (a), à son lit de Procuste.
Il est possible de repérer l’entrée en psychanalyse, mais il est impossible de savoir le moment de sortie d’une psychanalyse. En revanche, il est possible de la reconnaître quand elle est là. Cela est dû à Jacques Lacan.
Comme dans les régates à la voile ou à la rame, l’être concerné, dans la position de malade, patient ou psychanalysant, est sur le bateau de la cure et il est fortement déconseillé de quitter le bateau avant que ce dernier ne touche terre.
Dans la névrose, la traversée du fantasme indique que la construction imaginaire de l’être, que j’avais appelée mer d’Œdipe, a été traversée avec succès. Les symptômes de l’entrée ont cédé place à la circulation libidinale. L’être est toujours de structure névrotique, il lira de manière névrotique le réel, mais sans les symptômes. Soyons exigeants : quelqu’un qui quitte sa psychanalyse ayant encore des symptômes psychiques, corporels ou organiques ne sort pas de psychanalyse, il l’abandonne.
Le psychotique traverse son fantasme originaire de manière claudicante, mais il n’est plus paralysé d’être dans le monde. J’avais appelé possibilité d’une île la construction possible avec le psychanalysant de structure psychotique. À mes yeux, ce qui est important est qu’il puisse construire une manière d’être dans le monde de la façon la plus apaisée pour lui et pour l’autre (a’) : son entourage amoureux, amical, professionnel. Le pervers ne traverse pas de fantasme originaire, mais comme pour le psychotique, le plus important dans la visée psychanalytique est, dans son cas, de construire un mouillage pour vivre à l’abri, mot qui au début du XIIe siècle définissait le lieu « où l’on est à couvert contre les injures du temps. ».
Il est possible de traverser le fantasme originaire sans que le psychanalysant s’en rende compte. En revanche, il est fondamental que le clinicien puisse le repérer. Il en va de la validation qu’il a assuré pour de vrai la psychanalyse en question.
Le fantasme originaire ne se trouve pas à n’importe quel moment d’une psychanalyse. De même qu’il n’y a pas de poisson rouge dans la Mer noire, le fantasme originaire est un poisson qui ne se trouve que dans les eaux de la Mer d’Œdipe.
Lacan était freudien jusqu’au bout de sa vie clinique, la preuve est sa conférence à Caracas. Ainsi, il me semble possible de défendre l’idée que la traversée du fantasme chez Lacan est une proposition de repérage de sortie de psychanalyse à partir des indications laissées par Freud.
Le fantasme baigne dans l’imaginaire. Si je reprends ma métaphore aquatique, le fantasme est le poisson et l’imaginaire est l’eau. Le fantasme, comme je l’ai écrit plus haut, est articulé par l’imaginaire, subit les effets du symbolique et la torture du réel.
Avec Freud, les repères cliniques de la traversée n’existaient pas. L’analysant arrive à aimer et à travailler ? Pour Freud c’était bon. Ça va ! Comme on dit en français. Vers la fin de sa vie, toujours pas de traversée du fantasme, mais si l’être ne donne pas suite à l’heure psychanalytique, il n’y aura pas de quoi fouetter un chat.
C’est Lacan qui a voulu apporter une indication de ce qu’est une sortie de psychanalyse, et il avait utilisé la traversée du fantasme originaire – donc une idée issue de la clinique de Freud – pour théoriser, pour mettre en carte maritime, le champ parcouru, et celui que d’autres psychanalystes-navigateurs devraient suivre pour arriver à bon port.
D’abord il n’était pas d’accord avec l’identification à l’analyste proposé par Balint, ensuite l’idée de Glover, d’identification au surmoi de l’analyste n’avait pas non plus trouvé grâce – justifiée – à ses yeux.
C’est dans cette voie freudo-lacanienne que j’avais proposé, au moment où un clinicien sollicite les membres de son École pour entendre le témoignage de sa manière de conduire une psychanalyse, que ce document soit imprimé et envoyé aux membres cliniciens de l’École et aux cliniciens invités, pour qu’ils puissent repérer la traversée du fantasme. Je pars du principe qu’entre l’entrée et la sortie d’une psychanalyse, il y a inévitablement dans le témoignage écrit, des traces de la traversée du fantasme. Et s’il n’y a pas de présence de la traversée d’au moins un fantasme originaire, il n’y a pas eu de psychanalyse.