Fernando de Amorim
Paris, le 27 octobre 2023
La psychanalyse n’est jamais entrée dans les institutions, qu’il s’agisse de l’hôpital ou de l’université. Quelques-uns, prétendument généreux défenseurs de la psychanalyse, parlent d’elle dans les institutions mais sans jamais produire un effet véritablement transformateur. Il s’agit d’arrangements, de compromis. Rien de plus. Cet effet éphémère est dû au fait qu’il n’y a pas de transmission de la psychanalyse. Pour qu’il y ait transmission il faut de la rigueur et de la méthode. Cela ne peut se faire que si elle est traitée comme une science par ceux qui l’exercent et pour que cela se réalise le clinicien doit continuer sa psychanalyse personnelle même après avoir présenté et réussi sa passe.
Suis-je en train de reprocher cela à mes aïeux ? Loin de là. Je signale simplement qu’il est temps de ne plus se contenter des miettes. Et pour cela il faut mettre la main à la pâte, j’entends par-là que le clinicien se doit de s’engager pour de vrai, si tel est son désir, avec la psychanalyse. Le professionnel de la psychanalyse se doit de continuer sa psychanalyse. C’est l’unique moyen de savoir sur l’Inconscient, la circulation de la libido, les expressions de la pulsion et la matérialisation du désir chez un être humain.
Donc la psychanalyse ne recule pas puisqu’elle n’est jamais entrée. En revanche, celui qui recule c’est l’analyste, le psychanalyste dans la position de psychothérapeute. Je me reconnais dans cette dernière position puisque je pense que le psychanalyste doit aller à l’hôpital pour faire naître le transfert, l’installer et le nourrir. Une fois que le médecin soigne le malade et que ce dernier se sent apte pour retourner à la vie, il sort de l’hôpital, bras-dessus bras-dessous avec le psychanalyste dans la position de psychothérapeute. Ce dernier l’invite à venir en consultation à son cabinet. Pour les honoraires, il s’agit des honoraires CPP (Consultation Publique de Psychanalyse). Cette remarque vise les envieux qui colportent que je fais cela pour de l’argent. J’ai fait cela, créer la CPP, parce que tel est mon désir ; je fais cela pour prouver que la psychanalyse n’est pas que pour les riches – comme disaient les crétins de ma jeunesse – mais pour ceux qui ont le désir de devenir quelqu’un qui sait occuper la position de sujet ; je fais cela pour régler une dette symbolique envers Freud et les pionniers de la psychanalyse ; je fais cela parce qu’en tant que scientifique j’apporte les résultats de mes recherches au public car il n’y a rien de mystérieux dans une psychanalyse, il y a du complexe. Dans le cadre de la CPP, le patient doit payer lui-même son traitement psychanalytique, selon ses moyens, et non compter avec les aides publiques ou avec les séances mises en place par les génies qui entourent le président Macron.
C’est vraiment n’avoir aucune exigence ou finesse clinique que de proposer et officialiser des séances de psychologue remboursées. Il est toujours charitable de faire le bien, avec le bien d’autrui. L’argent public devrait servir à former des jeunes compétents à assurer des psychothérapies et non à gaspiller l’argent public avec des démarches bricolées à la va-comme-je-te-pousse.
Discuter d’un autisme au singulier ou au pluriel, d’un autisme en tant que syndrome ou en tant que groupe de symptômes est toujours une logique médicale et non psychanalytique. Donc il n’y a pas de psychanalyse dans une telle démarche.
Où s’installe subjectivement l’être dans la position d’autiste, selon ma hiérarchie de l’être au sujet, ci-dessous ?
être – être vivant – être humain – être survivant – être qui vivote – être qui vit – être parlant – être castré… (sans psychanalyse)
…être barré – sujet – sujet barré (avec psychanalyse)
En tant qu’être aristotélicien, en tant qu’être humain, en tant qu’être parlant ?
Cette question se tranche dans la clinique avec un transfert solide où parents, équipe soignante et surtout le principal concerné (enfant ou adulte d’ailleurs) s’engagent pour qu’il construise sa position de sujet ; non par des arrangements nosographiques extirpés de la médecine pour les plaquer sur le dos de l’être dans la position d’autiste.
Mais qu’entends-je dans la vie vraie ? Des psychiatres affirmant péremptoirement qu’un être de structure psychotique, un autre portant un diagnostic d’autisme, une dame âgée ne devraient pas faire une psychanalyse « parce que vous n’avez pas la structure », « parce que vous êtes fragile », « parce que vous pouvez décompenser ».
Mais de quoi te mêles-tu ?
C’est grâce à la psychanalyse et à ceux qui la pratiquent que des êtres ne se sont pas encore suicidés, que d’autres vont au travail et d’autres ont réussi à garder un travail, d’autres ont même trouvé un travail ; d’autres encore ont réussi à aimer et à se faire aimer, tout en ayant un diagnostic d’autisme, de psychotique, d’obsessionnel.
J’ai le droit de critiquer les analystes, mes analystes, contrairement à quelqu’un qui ne connaît la psychanalyse que par une lecture approfondie, voire biaisée.
Il faut sortir de la lecture psychiatrique de l’être humain. Il faut une nosographie et une nosologie à l’usage des cliniciens, pour les aider à conduire la cure, qu’elle soit une psychothérapie ou une psychanalyse. Il n’est pas question ici des nombres, comme dans le cas de la schizophrénie qui, dans le DSM-IV, peut se lire « F20.09 Schizophrénie, type paranoïde, moins d’une année depuis le début de symptômes de la phase active initiale. » et qui dans le DSM-5 (CIM-10-MC) se lit « F20.9 Schizophrénie ».
Mais que sais-tu ?
Qu’est-ce que le DSM ? Est-ce une évolution, une rectification, un progrès pour sortir les cliniciens de l’embarras clinique quotidien ? Je ne le pense pas. Une telle lecture figée de l’être empêche le psychiatre de toute ingéniosité clinique, du swing nécessaire pour se faire clinicien dans la rencontre avec le souffrant. Cette aridité faussement biologique a déjà conquis une foule immense de psychiatres et elle ne s’épuisera pas en si bon chemin.
Ce que le psychanalyste peut faire c’est de solliciter les universitaires à faire lien avec les écoles de psychanalyse, à organiser des séminaires et des débats dans les classes avec des psychanalystes, d’inviter des psychiatres défenseurs du DSM, que les jeunes étudiants puissent poser et se poser des questions sur leur avenir professionnel. Un avenir peut être heureux comme il peut être médiocre, voire minable. Che vuoi ?
La société a besoin d’êtres qui ont comme perspective de devenir quelqu’un et non de légumes ambulants avec une noix de cajou à la place de l’esprit. Il est de la responsabilité des universitaires et des chefs de service de psychiatrie, de médecine et de chirurgie d’ouvrir leurs portes aux étudiants de psychologie et de psychiatrie ayant le désir de devenir des cliniciens (psychothérapeute ou psychanalyste, ça se déterminera ensuite).
La clinique avec l’enfant ne peut pas se faire sans l’aide d’au moins un des parents. J’accepte un enfant en consultation de manière légère car un enfant n’a rien à faire chez un psychanalyste. La place d’un enfant est à l’école, avec ses camarades, au parc. Le Moi des parents déposent l’enfant chez le « psy » qui mérite largement ce sobriquet parce qu’il n’a pas le courage d’engager les parents dans la clinique avec l’enfant. Ma « manière légère » signifie sans engagement, sauf si l’enfant exprime la souffrance d’être, ce qui est opposé à la détresse de porter la souffrance de l’autre.
J’accepte qu’un parent prenne rendez-vous pour un enfant quand les parents sont d’accord de venir aussi en psychothérapie. L’enfant, dis-je, est héraut des symptômes du Moi des parents.
La psychanalyse de l’enfant est une stratégie clinique molle quand l’analyste n’a pas le courage de faire venir en cure les parents eux aussi. Il y en a qui reçoivent l’enfant, qui donnent des comptes-rendus des séances aux parents comme si le psy était la nounou de l’enfant au service du Moi et des organisations intramoïques parentales.
Si le parent n’est pas d’accord de venir aussi en psychothérapie je l’invite à chercher quelqu’un d’autre car il (le parent) n’a aucun intérêt à savoir ce qui arrive véritablement à son enfant. Si cette stratégie fonctionne – la plupart du temps elle ne marche pas, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne produit pas d’effets chez le parent – l’enfant arrête de venir en consultation dare-dare, comme il se disait au XVIIe siècle.
Il est important de signaler que dès que le parent commence à venir en psychothérapie et que le transfert est solide l’enfant commence à ne plus vouloir venir en séance, ce que j’appuie, tout en restant à sa disposition. C’est de cette expérience que m’est venue la formule citée ci-dessus : « l’enfant est le héraut du Moi des parents ». L’enfant apporte la détresse du Moi et des organisations intramoïques des parents. Comme l’enfant ne sait pas très bien comment faire, il se pisse dessus, il fait des insomnies, il maltraite plus petit que lui ou lui-même.
Cette opération se passe dans un registre inconscient. Il n’y a pas de fautif ici, que de la haine, de la frustration, de la désespérance.
Aucun manuel ne pourra exprimer les enjeux d’une telle dynamique sans faire appel à la psychanalyse. Mais pour cela, il faut qu’elle soit scientifique. Elle ne pourra pas être scientifique sans que le psychanalyste reste psychanalysant pendant son exercice clinique.