L’interprétation
Fernando de Amorim
Paris, le 14 juillet 2022
A Mme le docteur JMB
L’interprétation vraie est celle qui tombe comme un fruit mûr des lèvres de l’être dans la position de psychanalysant, voire dans la position de sujet. Dans ce dernier cas de figure, il est possible de supposer que cet être soit sorti de psychanalyse.
Il me faut donc faire une distinction entre interprétation symbolique, vraie, et interprétation imaginaire, fausse. Interprétation symbolique est une lecture que fait l’être castré, porté par le courant de l’Autre barré, du Réel.
L’interprétation imaginaire est propre au Moi, et ce dernier lit le Réel toujours par les lunettes de sa réalité qui est, structurellement, fausse.
Le clinicien, dans la position de supposé-psychanalyste, n’interprète pas. Sa fonction est celle de veilleur. Il veille à ce que les techniques psychanalytiques – d’association libre (Freud), de nomination (Amorim) – soient respectées par le psychanalysant, tout en respectant lui-même
la méthode psychanalytique, à savoir, se taire, voire somnoler, ce qui va dans la voie indiquée par Freud et appelé, par ce dernier, attention flottante.
Or, et ce n’est un secret pour personne, parfois, le clinicien est appelé à intervenir. Cette intervention peut avoir la fonction de rectification subjective, hapax lacanien – mais ô combien précieux – aux antipodes de la prise de conscience ou de la reconnaissance de la faute. La rectification subjective suppose une pensée, une parole et une action de la part de
l’être. Ce processus compte, sans conteste, avec le désir du psychanalyste.
L’interprétation peut avoir aussi un statut de rectification subjective. Avec l’intervention du désir de psychanalyste.
Dans ce cas, l’interprétation est autorisée au clinicien en fonction de quelques consignes : d’abord, comme l’a enseigné Freud, le clinicien interprète ce qui est déjà en train de tomber des lèvres du psychanalysant, sans que le Moi de ce dernier s’en aperçoive, aliéné qu’il est.
Il convient de faire la lumière sur ce fait que, parfois, le clinicien propose une interprétation que refuse le Moi du psychanalysant. Dans ce cas, proposition lui est alors faite de jeter l’interprétation à la poubelle. L’interprétation est une proposition de voie maritime et non un terminus, un but, une fin.
Il m’arrive de proposer l’interprétation, inspiré de ce qui venait de sortir de la bouche de l’être et que le Moi refuse. J’accepte ce refus sans contester. Mon acceptation docile produit une réaction fort intéressante : l’être et le Moi se mettent d’accord pour accepter de prendre la voie en question, à savoir l’interprétation proposée auparavant. Cette résistance est une recherche de conflit du Moi avec le transfert. Comme le Moi n’a pas trouvé cette confrontation, il cède, donc il accepte la castration venue de l’Autre barré.
Il faut aussi penser que, parfois, le Moi refuse l’interprétation proposée par l’être accroché à l’Autre barré et prend une voie inattendue pour le clinicien. Ce dernier le laisse suivre sa navigation.
Parfois, l’être refuse l’interprétation proposée par le Moi. Le silence du clinicien est ici exigé parce qu’il s’agit d’un conflit propre à l’appareil psychique qui sera réglé par la suite, tels les bateaux qui sont poussés vers l’Est quand ils ont le vent en poupe de l’Est [ce qui pousse le bâtiment vers l’Ouest], comme il est décrit par Alexander von Humboldt dans son « Voyage au Régions Equinoxiales du Nouveau Continent (1799-1804) » Livre 4 – Caracas. L’auteur écrit : « il arrive assez souvent que le courant porte vers l’est pendant quinze ou vingt jours
consécutifs » (p. 34).
Une interprétation validée par l’analyste est toujours validée par son Moi, ce qui fait d’elle une interprétation fausse. La vraie interprétation, elle, tombe comme un fruit mûr, par l’enclos des dents, comme a écrit Homère, de l’Autre barré (Ⱥ), ce qui suppose qu’elle est validée par l’être, tout aussi barré (ɇ), car castré. Cet être castré est celui sorti de psychanalyse, ce n’est pas l’être aristotélicien où majeur et adulte se confondent.
Si le Moi valide l’interprétation, cela signifie qu’il accepte de perdre du terrain, donc de l’imaginaire. La vraie interprétation, celle à laquelle souscrit le psychanalysant, suppose que l’être accepte d’être castré.
Cliniquement, cela suppose qu’un malade est favorable à devenir
patient, un patient à entrer en psychanalyse et donc à devenir psychanalysant et que ce dernier est d’accord pour devenir sujet (Cf. Cartographie du RPH). À cet instant, le sujet ne se contente plus de vivre, mais commence à construire éthiquement son existence. Et cela à
chaque moment de vie qui lui reste. Ici une remarque s’impose : si la biologie s’occupe de la vie, la psychanalyse, elle, prépare l’être à exister.
Partir du principe que l’inconscient ne connaît pas le non, ressort à une interprétation du Moi du clinicien. Il faut que l’être en psychanalyse valide cette interprétation – à savoir, que l’inconscient ne connait pas le non –, pour qu’elle puisse être validée. « Validée » ici signifie que la cure peut être amenée dans la voie maritime en question. L’interprétation vraie signifie que l’être s’approche au plus près que les autres interprétations – forcément fausses car imaginaires – de la lecture du Réel. En un mot, l’interprétation qui touche juste est celle de l’être barré car pris dans les associations libres venues de l’Autre barré et non celles propres au Moi.
L’interprétation est une lecture de l’être barré bras qui va bras dessus bras dessous avec l’Autre barré. Le clinicien, castré car toujours en psychanalyse personnelle et autorisé par le désir de psychanalyste, reconnaît le vrai du faux, ce qui autorise le désir du psychanalyste à
lever la séance.
Ps. : On me rappelle que Freud avait écrit « L’inconscient ne connaît pas le non ». A vrai dire,
je m’éloigne de cette affirmation, portée par Lacan et par d’autres répétiteurs contemporains.
L’inconscient ne connaît rien, l’inconscient est. L’inconscient n’a pas d’intention.