MENS SANA : proposition aux jeunes psychologues et psychiatres
Fernando de Amorim
Paris, le 7 décembre 2019
En proposant le titre Mens sana, j’avais complété devant Monsieur Miller… « in corpore sano, comme disait Aristote ». Du tac au tac, il me dit : « Cette phrase est de Juvénal » (Juvénal, Satyres, X). Et d’ajouter, grand seigneur : « Ce n’est qu’un détail ! ».
Cette manière de faire, à savoir, ne pas humilier l’autre – quand bien même je ne me suis pas senti humilié, mais étourdi car depuis ma jeunesse j’associe cette citation à un bon conseil d’Aristote à son disciple Alexandre – me fait être proche de l’homme, l’unique, jusqu’à présent, avec qui il faut compter dans la bagarre pour la défense de la psychanalyse contre l’ignorance, l’amour et la haine du savoir inconscient. Bien évidement, cela ne pouvait pas être autrement, je vise celles et ceux qui veulent devenir ou se disent déjà psychanalystes, quand à vrai dire ils sont des psychiatres, psychologues, psychothérapeutes. Il faut ouvrir Doctolib pour le constater. Je pense qu’ils ne sont pas, ou ils ne sont plus, psychanalystes s’ils ont abandonné la position de psychanalysant. C’est le critère freudien que je défends pour protéger les psychanalysants et la psychanalyse de leurs affects.
Ils ne sont pas psychanalystes, au pire ils sont devenus des psys, au mieux, ils sont devenus des analystes.
Des défis nouveaux se présentent aux psychanalystes, mais pour l’instant ils se battent comme des persans parfumés et des mercenaires pour ne pas être dans leur temps, pendant que quelques-uns tâchent d’incarner au quotidien la position des fantassins spartiates de l’armée de Freud et de Lacan.
Cette référence à la bataille de Thermopyles me semble importante. Leonidas et ses soldats défendaient leurs terres, leurs femmes et leurs enfants. Xerxès venait combattre parfumé, ses hommes étaient des mercenaires et ils avaient le nombre pour eux. En un mot, ils n’avaient pas grand chose à perdre. Les lacédémoniens, eux, avaient tout à perdre. Les psychiatres-psychanalystes, les psychologues qui se disent aussi psychanalystes, s’alignent dans cette voie persane. Ils se battent à demi-mot, avec du silence, avec du mépris, voire de l’indifférence. Cette stratégie est insuffisante pour défendre le discours de la psychanalyse dans la Cité. Pas un seul groupement psychanalytique n’est parvenu à rassembler autour de lui suffisamment de fantassins, psychologues ou psychiatres, pour aller au front des adversaires du désir. Si le désir de Jacques-Alain Miller ne s’était pas jeté dans la fosse aux lions après Accoyer, la psychanalyse aujourd’hui serait traitée comme une vulgaire psychologie, voire pire.
La santé mentale du psy, psychologue, psychiatre, psychothérapeute, et de l’analyste est vacillante. Tout comme son corps. En regardant les photos des premiers psychanalystes, femmes et hommes, il est possible d’observer une élégance, probablement due à l’époque. Freud était connu pour son élégance, son costume trois-pièces, même s’il était très usé. Lacan aussi était très élégant. D’ailleurs ce dernier, même âgé, pratiquait la gymnastique et montait les escaliers comme un cabri pour rendre visite à une dame. En un mot, Ἔρως était au rendez-vous. Eros était au rendez-vous aussi dans la pratique de ces deux Messieurs. Le premier avec son cancer et l’odeur nauséabonde qui se dégageait, recevait encore des patients à Londres. Le deuxième, jusqu’au bout de son existence, a continué lui aussi à assurer ses consultations.
Le symptôme du psy c’est qu’il n’a pas fait une psychanalyse. Quant à l’analyste, il a abandonné la sienne. Le résultat, et cela n’engage que l’auteur de ces lignes, ce sont des corps abandonnés, malmenés, maltraités, mal habillés. Comme le moi est corporel, nous avons affaire à une sorte d’egopathie.
Le psychotique a toujours un bon mot pour indiquer où ça cloche chez l’analyste. Une psychanalysante avait dit à propos d’un analyste : « Comment il peut parler de mon corps s’il bouffe comme un cochon ? En plus, j’ai su qu’il avait fait une lipoaspiration. Il est devenu maigre, et là il est gros une autre fois. Franchement, quel culot ! ». La fâcherie de cette dame, le lecteur ne doit pas la prendre uniquement comme du transfert négatif. Parfois, l’interprétation – le contre-transfert, comme d’aucuns disent – est utilisée comme arme. D’ailleurs un professeur avait même dit qu’il armait les psychologues avec les outils de la psychanalyse. Je lui avais répondu : « Carnage assuré ! ». Depuis il me fait la moue.
La clinique est possible avec l’autiste, la clinique est possible avec les malades dans les hôpitaux atteints de maladies psychiatriques et de maladies organiques, de maladies génétiques, la clinique est aussi possible avec les nourrissons, avec les personnes âgées, avec les enfants sous médicaments comme la Ritaline.
Pendant que quelques-uns inventent, proposent, secouent, comme l’auteur de ces lignes avec la CPP et Jacques-Alain Miller avec sa CPCT, d’autres sont endormis dans leur fauteuil pendant que le psychanalysant parle. D’autres réagissent par spasme, poussés par le désir de Miller. Cela a toujours était ainsi : quelques-uns bravent la tempête pendant que d’autres courent aux abris, quand ils ne se cachent pas sous les jupes de maman.
« Il arrive un temps où ne se dit plus : mon Dieu.
Temps de purification absolue. »
Si le poète Drummond de Andrade, dans sa poésie « Les épaules supportent le monde », peut se permettre une telle exigence – « Temps de purification absolue » –, c’est parce qu’il est poète. Je suis clinicien. Dans mon champ opératoire, il y a de la merde, de la pisse, de la haine, de la mort. Rien n’est pur. Mais cela ne signifie pas qu’il faille céder mollement, sans examiner jusqu’où il est possible d’aller et de construire à partir du reste.