Fernando de Amorim
Paris, le 18 février 2025
Chez le Moi psychotique, comme chez le Moi perverti, le passage à l’acte est un débordement libidinal d’une partie du Moi (a’).
Il peut être une réponse à une hallucination inventée par le Moi (a). Dans le délire, le passage à l’acte est justifié par l’interprétation imaginaire du Moi.
L’hallucination, depuis Benjamin Ball, est une perception sans objet. Le délire est, depuis Jean‑Pierre Falret, un jugement faux pathologique. Le passage à l’acte est l’évitement par le Moi d’une parole de castration. L’hallucination ainsi que le délire sont des tentatives de guérison imaginaire du Moi. Autrement dit, dans le cas de l’hallucination, le Moi, pour éviter la castration, se verrouille jusqu’à ce que le déferlement libidinal soit inévitable ; dans le cas du délire, le Moi est davantage gonflé par la libido qui vient de l’Autre non barré.
Dans la position psychotique, le Moi est maître absolu. Maître absolu et presque noyé dans l’hallucination ; maître absolu en papier dans le délire.
Le passage à l’acte est la preuve que le Moi a été noyé, temporairement, par la libido qui déborde sur lui. Il est aussi la preuve que la pensée a été exclue de la voie verbale, celle de l’association libre qui rend l’être castré.
Le passage à l’acte est le résultat d’une opération intrapsychique : quand la pensée s’arrête à l’Autre non barré, qu’elle s’évanouit dans cette organisation intramoïque, la libido qui nourrissait la pensée se détache et, en passant par la résistance du Surmoi, fait effraction vers l’extérieur de l’appareil psychique. Dans cette opération, le Moi est poussé sur le côté, négligé, voire à moitié noyé par le raz‑de‑marée libidinal qui caractérise le passage à l’acte.
Dans le cas du Moi psychotique, quand la libido se mêle à la pensée, il est question de délire ; quand la pensée est dissociée de la libido, il est question du passage à l’acte. Le délire est une pensée, une idée, une parole, une phrase déplaisante propre à l’Autre non barré adressée au Moi. « Salopard ! », « Tu ne réussiras pas ! »… telles sont les formules que l’Autre non barré adresse au Moi. Face à un tel accablement, le Moi, qui est ici psychotique par structure, n’a pas les moyens de se protéger, de se défendre, de se guérir d’une telle attaque. Le passage à l’acte est la libido venue de la résistance du Surmoi, sans demande d’autorisation du Moi. Le passage à l’acte déborde sur le Moi, tel un raz‑de‑marée, alors que quand la libido se mêle autrement au Moi, le « salopard » deviendra autrui : « Autrui ne réussira pas ! » C’est la tentative de guérison par le délire.
Au contraire de parler la haine, ce qui suppose que la pulsion agressive passe par le Moi, instance qui à ce moment peut encore compter avec le registre du Symbolique et de l’Imaginaire, cette haine s’exprime brutalement, crûment, sans objet (hallucination) ou en ayant un jugement faux (délire), soit sur le Moi dans le cas du suicide, soit sur autrui dans le cas du meurtre, de l’agression, voire de la violence sexuelle avec meurtre quand la pulsion agressive se mêle à la pulsion sexuelle.
Tout commence avec la libido. C’est la libido qui, en passant par le Moi, agglomère des pensées. Si ces pensées sont dites, elles produisent des paroles qui, dites les unes après les autres, forment une chaîne signifiante. Si ces pensées s’agglomèrent, elles se transforment dans la conscience en une idée. Une idée est donc l’agglomération de pensées.
Le délire est une agglomération de pensées qui constitue un jugement faux de la réalité. Le Moi, aliéné structurellement et de structure psychotique, valide ce qui vient de l’Autre non barré, son maître méchant, voire son Dieu, tout aussi méchant. Quand il n’y a pas de paroles pour dire – les signifiants associés librement – comme c’est le cas avec la forclusion, la libido qui nourrissait l’Autre non barré de ses pensées, idées et paroles méchantes visant à toucher le Moi se détache de la pensée, de l’idée, de la parole, les rendant vides. Cette libido pure passe dorénavant à la résistance du Surmoi. C’est de la résistance du Surmoi que part le passage à l’acte.
Le passage à l’acte est le raz‑de‑marée qui déferle sur le Moi. Le passage à l’acte équivaut à la libido dissociée du registre imaginaire et symbolique.
En résumé, le passage à l’acte – dans la psychose – est un débordement libidinal qui vient de la résistance du Surmoi et qui pousse le Moi à se protéger par la voie de l’hallucination. Dans le délire, le Moi tire une conclusion fausse de la réalité et la résistance du Surmoi prend le relais en passant à l’acte. Le Moi est complice de cette opération. Dans l’hallucination, le Moi a été, temporairement, noyé par la déferlante libidinale venue de la résistance du Surmoi. C’est quand le Moi sort la tête de l’eau – c’est‑à‑dire quand il prend conscience – qu’il constate les dégâts provoqués par le raz‑de‑marée libidinal.
Le délire est une agglomération d’idées fausses. Pour éviter la castration, le Moi préfère accepter le déferlement libidinal de la résistance du Surmoi. C’est ici qu’il apporte son appui, sa complicité, au délire. De même, pour éviter la castration, le Moi évite de parler ce qui lui traverse l’esprit sous forme d’association libre ; le passage à l’acte en est l’issue. C’est pour cette raison que l’association libre protège l’appareil psychique du passage à l’acte. Le passage à l’acte renverse, par la furie de son raz‑de‑marée libidinal, le Moi. Ce dernier est responsable, mais n’assume ni l’opération hallucinatoire ni l’opération délirante. Ceci par aliénation et surtout pour éviter la castration. Le passage à l’acte est un débordement sous l’effet, soit de l’hallucination comme pensée qui se transforme en acte sans passer par le Moi, soit du délire comme idée qui se transforme en acte avec l’appui du Moi. « Sans passer par le Moi », dans l’hallucination, veut dire qu’il est soumis à la déferlante ; « avec l’appui du Moi » veut dire que le Moi utilise le délire pour justifier son refus de la castration.