Fernando de Amorim
Paris, le 3 novembre 2024
Le tissu social français s’effiloche à vue d’œil. C’est notre mue et c’est une bonne chose. J’affirme que c’est une bonne chose, parce que c’est mon choix. La mue est une des expressions du Réel et, comme les vagues, personne ne peut les contrôler. Il est possible de choisir de la vivre comme une expérience positive ou négative, mais il est aussi possible de surfer sur la vague et ne pas se laisser noyer ou emporter vers les rochers.
D’aucuns prétendent que la chasse aux juifs est ouverte, et aussi celle aux musulmans, aux pauvres.
Et si, au lieu de penser de manière communautaire, les persécutés se décidaient à assumer de devenir français à part entière ? Il faut du courage pour céder de son dieu méchant afin d’assumer de construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée. La logique du Moi est l’aliénation. Cette aliénation est structurelle et c’est donc par la voie de la répression qu’il faut contenir sa jouissance. Quant à l’être lâche qui n’admet pas qu’il vit mieux en France que dans le désert, il est nécessaire de le sensibiliser au fait que s’il s’aligne avec son Moi, c’est toute la beauté de la liberté qu’il va perdre. Pour qui, à qui s’adresse-t-elle, cette haine silencieuse de celles et ceux qui vivent en France sans être français ? À eux-mêmes. Le Moi n’est pas une instance fiable. Si je propose un Dieu à l’homme, c’est un Dieu barré, celui qui n’a pas de Dieu au-dessus de lui, qui est là quand on l’appelle et que, quand on n’a plus mal, on oublie. Si j’invente un Dieu symbolique et qu’il me faut un diable, je pense que le Moi fera l’affaire.
L’agressivité est la résultante d’une incapacité, d’une volonté de rester sous les jupes du Moi, d’une méconnaissance de la possibilité, offerte à l’être, par la société française, de devenir adulte, voire sujet.
Comme l’être n’est pas à sa position, il hait : l’autre, son corps, soi.
Devenir français uniquement, c’est se débarrasser des oripeaux parentaux, idéologiques et religieux.
Cette haine envers l’autre, cette logique de conquête religieuse, cette exclusion de l’autre en son propre sol, avec la nomination de mécréant, est l’indicateur que l’être ne veut rien savoir de sa propre responsabilité ainsi que de celle d’assumer ses choix. Si une terre, n’importe laquelle, ne vous convient pas, allez ailleurs. Pour cela, il faut du courage, ce que le Moi ne possède pas. Alors, il reste là, planté au milieu du chemin, au milieu du métro, au milieu de l’autoroute. Il ne s’agit pas ici de nationalité ou de religion des personnes, mais de la logique aliénée du Moi des personnes.
Cette haine, c’est de la diversion du Moi pour passer le temps en haïssant et ainsi ne pas se mettre au travail de construction de sa responsabilité de conduire aussi sa destinée, car, quand quelqu’un est occupé à construire sa danse avec le Réel, il n’a pas de temps pour regarder à côté. C’est le sens noble, au sens d’élévation, de la prière : la prière d’effectuer son travail, son amour, son amitié. Ce que fait l’autre n’engage que l’autre.
Tout le temps dédié à la haine de l’autre a pour unique fonction de ne pas prendre en charge sa responsabilité de faire des choix, car choisir implique aussi du choir. Perdre un statut pour accéder à un autre n’intéresse pas le Moi. Il veut emmerder l’autre, c’est-à-dire jeter sa merde sur l’autre.
Perdre la position d’enfant pour devenir homme ou femme, perdre une nationalité pour avoir la sienne propre, celle de son choix et non celle transmise par papa. En d’autres termes, avoir le courage d’être, de passer par la période de devenir, et de devenir sujet.
Une telle opération n’est pas pour tout le monde, mais elle est possible pour quelques-uns au quotidien. Pas de manière figée, définitive. Il s’agit d’un travail de tous les jours, comme respirer.
Si l’être ne castre pas symboliquement la jouissance d’être au service de l’idéologie de l’autre, qu’elle soit partisane, politique, religieuse, familiale, il deviendra objet – ce qui empêche de construire sa subjectivité – de cette relation.
C’est l’option prise par l’immense majorité des Moi humains.
Pour qui tant de haine, tout le temps, sans relâche ? Pour soi, pour l’autre, pour le Réel. Le Moi veut des larmes, du sang, du meurtre.
Il réussit souvent son coup.
La psychanalyse s’oppose à cette logique en proposant à l’être de devenir sujet.