Fernando de Amorim
Paris, le 17 juillet 2023
Pour E. C. et S. M.
L’élaboration d’une hypothèse ne suppose pas un résultat mais une piste de réponse.
La procédure de raisonnement de Freud, à partir de ses observations, l’avait poussé à porter une réponse à la souffrance des êtres souffrant d’hystérie : la sexualité infantile était au cœur de leur détresse. Jacques Lacan, lui, a pu, par une approche scientifique déductive – donc à partir de la loi de la sexualité infantile au cœur de la souffrance hystérique, élargir ces connaissances au champ de la psychose. Il met en évidence ce qui se trouve déjà chez Freud – à savoir, la forclusion comme élément de déclenchement de la psychose.
Pour le Moi, l’alignement « effraction actuelle » (perte d’un objet cher) + « l’Œdipe » (la relation de l’être au Moi et aux organisations intramoïques de ses parents) + « l’objet a » (objet perdu) est-il la cause du déclenchement du symptôme psychique (névrose, psychose, perversion), corporel (sans lésion) et de la maladie organique (avec lésion) ?
Hypothèse :
effraction actuelle + Œdipe + l’objet a = déclenchement ?
À partir de cette hypothèse issue des faits cliniques, les cliniciens du Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital – École de psychanalyse, ont mené des expériences pour confirmer ou infirmer cette hypothèse. Ces expériences se basent sur les dires et les actions des êtres en position de psychanalysant, donc en phase de construction de leur subjectivité et des êtres en position de sujet, donc, une fois sortis de psychanalyse. La position de malade ou de patient n’autorise aucune conclusion à visée scientifique (Cf. Cartographie du RPH).
Ces expériences sont menées depuis 40 ans par l’auteur de ces lignes lui-même, soumis à l’expérience d’une psychanalyse personnelle. Le résultat d’une psychanalyse est la construction d’un savoir sur lui-même : il n’a jamais eu de problèmes majeurs de santé, il prend soin de son organisme, de son corps, est devenu apaisé affectivement, sexuellement et est devenu père, aime travailler et aime tout court. Une telle existence n’a jamais été envisagée par lui. Ce qui est logique puisque la vie n’est qu’une succession de processus biologiques. C’est la construction d’une existence qui compte. Pour exister, il est nécessaire que l’être devienne sujet et construise, à partir de son désir construit grâce à l’Autre barré, sa propre existence, existence qu’il découvrira au fur et à mesure de chaque jour qui passe.
La psychanalyse a une logique propre. Elle est une science et sa démarche scientifique est la méthode d’association libre. Grâce à des techniques qui lui sont propres aussi, elle a ce qu’il faut pour guider le clinicien dans la position de supposé-psychanalyste dans la production d’une connaissance scientifique. Une telle démarche est contraire à la démarche scientifique quand la science a affaire à des objets inanimés comme les comètes, ou à des objets microscopiques telles les bactéries. Dans le champ de la psychanalyse, le désir humain, l’être humain, naît un par un. À aucun moment dans l’histoire de l’humanité deux nourrissons ne sont nés dans le même espace-temporel. Même si une douzaine naissent du même ventre, c’est à la queue leu leu qu’ils pointeront leur nez, jamais deux à la fois. Il faut donc examiner le résultat d’une psychanalyse selon la méthode verticale – à savoir : comment l’être était avant et comme il est devenu, après la psychanalyse ; et non de manière horizontale : vouloir comparer la psychanalyse de Pierre avec la psychanalyse de Paul ou pire, la thérapie psychodynamique de Pierre avec la TCC de Jacques, ce qui est une absurdité épistémologique. Vouloir plaquer la psychanalyse dans le lit de Procuste d’une lecture scientifique propre à la biologie, voire à l’astronomie, c’est dénaturer complétement la dignité et la rigueur de l’INSERM (Cf. Psychothérapie : Trois approches évaluées).
Les résultats d’une psychanalyse sont présentés au sein du RPH sous la forme de réunions clinique mensuelles et d’examens de sortie de psychanalyse, en forme de passe, inspirés par Jacques Lacan. La passe est un passage entre deux terres. La passe est la preuve que le pilote est expérimenté, « les officiers de marine d’Ancien Régime avaient l’habitude d’avoir à bord de bons « pratiques » (c’est-à-dire des pilotes réputés) » (Dictionnaire d’histoire maritime, sous la direction de Michel Vergé-Franceschi, p. 1106). La passe montre que le supposé-psychanalyste est devenu un pilote expérimenté dans la conduite des psychanalyses. A la sortie d’une psychanalyse, l’être prend la terre-continent (névrose), la terre-île (psychose) ou un mouillage (perversion). Cependant, il est possible de constater qu’il a eu psychanalyse.
Si on interprète que le symptôme, psychique et corporel, ainsi que la maladie organique (ici d’abord avec la participation médico-chirurgicale) se sont améliorés ou ont disparus parce que la libido qui le nourrissait a pris la voie de la Durcharbeitung, la perlaboration, l’hypothèse est validée – à savoir : la psychanalyse est un traitement efficace et utile à des êtres qui souffrent, qu’il s’agisse d’une souffrance psychique, corporelle ou organique.
Quand l’hypothèse de l’efficacité d’une psychanalyse n’est pas validée, le clinicien est d’abord mis en cause par son superviseur, s’il n’est pas encore psychanalyste ; par son contrôleur s’il occupe déjà la position de psychanalyste. Si le clinicien a suivi la procédure psychanalytique, le regard se tournera vers l’engagement décidé de l’être à continuer sa relation au Moi (décision de l’être), ce qui justifie la résistance à la guérison, au soin, et à occuper la position de sujet. Occuper la position de sujet suppose le choix de la castration (choix de l’être).
Madame G. a été hospitalisée car elle avait déclenché une leucémie. L’hypothèse de son désir de destruction est apparue au fur et à mesure de l’avancée de la psychothérapie, ensuite de sa psychanalyse. Elle a pu interpréter qu’elle s’est identifiée avec son père qui, lui, avait déclenché une leucémie. L’hérédité ou la génétique de sa leucémie n’a pas était mise en évidence par ses médecins. Ils ont préféré affirmer qu’ils ne connaissaient pas la cause du déclenchement (Cf. « Témoignage de la traversée d’une cure », Laure Baudiment, Revue de psychanalyse et clinique médicale, AFORMAG/RPH, p. 89.).
Mon hypothèse est que le Moi du souffrant, en s’alignant par identification au Moi parental – ce dernier étant lui-même cerbère de l’Autre non barré et de la résistance des Surmoi parentaux, indique au clinicien que l’être est caché derrière le Moi pour éviter ainsi la castration. Le symptôme (qu’il soit psychique ou corporel) et la maladie organique sont des indicateurs que la libido n’est pas utilisée par l’être pour construire son existence mais pour jouir de son aliénation. Si ce qui caractérise le Moi est l’aliénation et les organisations intramoïques la tyrannie, alors ce qui caractérise l’être dans sa décision de s’aligner avec le Moi est la jouissance.
Je ne pense pas que la psychanalyse soit l’unique démarche qui puisse apporter de l’aide à l’être souffrant – qu’il s’agisse de souffrance psychique, corporelle ou organique. Le lecteur remarquera que je n’interprète pas la maladie, je cherche à faire en sorte que l’être dans la position de malade occupe la position de sujet. L’être souffrant peut vouloir renforcer le Moi. Cette décision de l’être pourra justifier l’utilisation des techniques de dressage, d’endormissement et autres formes de jouissance (du côté de l’être) et d’aliénation (du côté du Moi).
Je ne suis ni en désaccord avec la décision de l’être ni réprobateur envers le Moi. L’existence est une construction qui n’engagera pas tous les êtres parlants. Il ne s’agit pas d’un jugement mais du constat d’un échec propre à la vie humaine. À peu près 40% des grossesses dans le monde ne sont pas désirées, ce qui pousse la moitié des femmes à avorter. L’autre moitié des enfants nés sera mal accueillie ou rejetée dans ce monde. Ces vies humaines survivront, vivoteront, vivront, mais pourront-elles exister ? La psychanalyse est une proposition de construction d’une existence quelle que soit son origine : désirée ou non.