Fernando de Amorim
Paris, le 5 octobre 2024
La psychanalyse est la clinique du désir. Le désir des cliniciens du RPH est au rendez-vous. J’en suis témoin.
Dans l’édition des samedi 5 et dimanche 6 octobre 2024, Le Figaro évoque sept pistes de travail pour une grande cause nationale, à savoir la santé mentale.
Il est possible de lire que : « Ce label [à cet anglicisme, je préfère l’appellation “cause nationale”] n’est en rien une garantie que les autorités mettront de l’argent sur la table. » En lisant cette formule, mon sang n’a fait qu’un tour.
Pognon, pognon. N’y aurait-il que le pognon qui compte ? Les idées utiles aux Français et produisant de l’argent ne sont pourtant pas envisagées. Nos administrateurs, nos politiciens… des gâtés pourris ! Heureusement, il y a l’expérience menée par Thomas Roux qui, travaillant « en concert » avec « les élus, le parquet, la gendarmerie », a réussi à diminuer considérablement le trafic de drogue au sein de l’hôpital.
Mis à part cela, il y a les plaintes : « besoin de davantage de soutien », articulation entre « mécanismes inflammatoires [et] maladies mentales ». Mais pas un mot sur le désir de l’être et le désir des parents.
Je suis d’accord pour le financement de la recherche en santé mentale, à condition que le désir soit au rendez-vous. Sauf s’il s’agit de la recherche en santé mentale des rongeurs parisiens. S’il s’agit de maladie mentale humaine, il est logiquement impossible, sauf à être de mauvaise foi, de vouloir traiter avec des pilules la détresse d’être, la difficulté, voire l’impossibilité, de devenir sujet, à entendre, impossibilité de construire sa responsabilité de conduire aussi sa destinée.
En 2023, mon équipe a assuré 76 969 consultations, sans aucune subvention. J’ai l’habitude de dire que le RPH est porté par le désir de ses membres. Pas un centime ne vient de l’extérieur, tout se soutient de notre désir. Prenez donc exemple !
Depuis des décennies, j’ai démontré que, avant l’argent, il est nécessaire de mettre en place des ponts entre les dispositifs déjà existant, à savoir :
- que les souffrants et les étudiants désireux de devenir cliniciens se rencontrent,
- que les médecins et les psychiatres comptent avec le psychanalyste (clinique du partenariat),
- que des locaux publics inutilisés le soir et en fin de semaine soient mis à la
disposition des étudiants en psychanalyse et en supervision pour qu’ils
puissent recevoir des personnes – les souffrants évoqués plus haut – sans
moyens mais ayant le désir de se soigner ; ces jeunes sans argent et sans
local pour travailler apprendront ainsi à faire de la clinique tout en
percevant la moitié des sommes reçues.
L’approche « préventive et graduée » est recommandée par les médecins. C’est recommandé, mais les médecins ne recommandent pas la rencontre avec le psychanalyste, celui qui, preuve à l’appui, sait conduire véritablement des psychothérapies et des psychanalyses. Ce sont les membres cliniciens du RPH qui diminuent la possibilité que le patient arrive chez le psychiatre « par la case “urgences” ». Cela depuis 1991. Pour quelle raison ne pas étudier à la loupe mes propositions, ma formation ? Je n’attends aucune réponse de qui que ce soit. Je ne suis pas un homme d’espérance, je suis un homme de désir.
Il faut constater que les médecins s’appuient sur les TCC pour leur efficacité, et cela au détriment de la psychanalyse. Comparons le comparable ! Le psychanalyste est suffisamment apte à traiter des symptômes sans les étouffer ou les supprimer. Sa proposition, efficace, est d’offrir à l’être les moyens d’apprendre ce qui se passe dans ses idées, dans son corps, voire dans son organisme. Il ne s’agit pas de dire que quelqu’un a déclenché une maladie (psychique, corporelle, organique), mais, humblement, de manière ignorante, d’examiner pour quelle raison cela se déclenche dans son esprit, dans son corps, dans son organisme. Il s’agit de faire faire au Moi un 180° pour qu’il aille interroger ses organisations intramoïques et non de le laisser toujours demander à l’autre, au médecin, au psychiatre, au saint Esprit, les raisons de sa souffrance. Cette stratégie du Moi vise l’extérieur de l’appareil psychique, comme si un monde océanique n’existait pas en lui.
Pourtant ce monde existe.
Freud l’avait nommé l’inconscient, même si monsieur mauvaise foi le refuse au point de le nommer « non-conscient ». C’est une stratégie, propre à la fenêtre d’Overton et digne de lui.
Lacan a ajouté une précision en écrivant que cet « inconscient est structuré comme un langage ». À la suite de mes maîtres et influencé par Kant – Kritik der reinen… –, j’indique que ce qui se passe psychiquement et corporellement répond, il est vrai, à cette logique freudo-lacanienne. En revanche, ce qui se passe dans la maladie organique, dans le passage à l’acte, est du registre de l’Inconscient avec un « I » majuscule. Dans ce monde inaccessible, une sorte de noumène, la libido est dissociée du signifiant ; de là l’importance de passer par la fantasmatisation et, ensuite, par la corporéification de l’organisme pour voir les effets cliniques du travail d’une psychanalyse avec le médecin et le psychiatre, car ce dernier, s’il est habilité, entre autres, à prescrire de médicaments, n’est pas apte à assurer des psychothérapies. Une psychothérapie est l’antichambre d’une psychanalyse.
Certes, comme le disent les innocents, tout le monde ne peut pas entrer en psychanalyse. Mais qu’en savent-ils ?
Les innocents donnent des avis par prétention, par bonne intention, non par compétence clinique.
Le discours est difficile ? Incompréhensible ? C’est qu’il faut beaucoup d’études et d’expériences pour répondre aux questions complexes soulevées par la santé mentale.
Et cela ne se fait pas avec chacun – politicien, médecin, psychiatre, psychanalyste – sur son îlot. Pour cette raison, j’avais proposé le concept de clinique du partenariat. Que le lecteur prenne exemple !
Il est écrit : « Libérer la parole ». La parole est libérée, c’est le signifiant qui ne l’est pas. Il est aussi écrit que cette libération de la parole « permettrait de réduire le retard du diagnostic, améliorant de fait le pronostic des patients ». L’auteur de cette délicieuse phrase pense que la maladie mentale est le versant psychique de la maladie organique. Qu’Aristote lui vienne en aide. Le diagnostic psychique, diagnostic structurel, est une indication qu’il ne faut pas mener le bateau de la cure vers le Nord mais vers le Sud. Ensuite, il faut attendre que le diagnostic spécifique tombe ; pour cela, il faut du transfert pour que le clinicien puisse savoir s’il conduit la cure ver le SSE (Sud-Sud-Est) ou le SO (Sud-Ouest). En termes cliniques comme en navigation, une erreur peut coûter des mois de perdition dans l’océan, voire la vie de l’équipage.